Nous avons choisi, cette année, de consacrer notre chronique aux thèmes suivants : les prix de transfert, les dispositifs de lutte contre l’évasion fiscale, l’application des conventions fiscales, et la caractérisation des entités étrangères aux fins d’application de la loi fiscale française.
1. Prix de transfert
1 – Dans le domaine des prix de transfert, le Conseil d’État a eu l’occasion, en 2021, de compléter sa jurisprudence sur les dépenses supportées par une filiale française de distribution relatives au développement de la valeur d’une marque détenue par sa société mère étrangère, et, surtout, d’apporter des précisions inédites sur la notion clé dans l’analyse fonctionnelle d’« entrepreneur principal », invitant à relativiser la portée du couple qu’elle forme avec la notion contrapuntique d’« entité routinière », en faveur d’une analyse fine des risques effectivement supportés par les sociétés du groupe.
A. – Dépenses encourues par une filiale de distribution contribuant au développement de la valeur d’une marque dont la société mère étrangère est la propriétaire
2 – Par sa décision Sté Elie Saab France du 17 juin 2021, le Conseil d’État est venu compléter utilement sa jurisprudence sur les prix de transfert en matière de dépenses visant au développement de la valeur d’une marque 1. La société Elie Saab France, spécialisée dans le commerce de détail de vêtements de prêt-à-porter et d’accessoires de luxe, est la filiale française de la société de droit libanais Elie Saab Groupe (ESG). La société française a fait l’objet d’une vérification de comptabilité portant sur la période du1er janvier 2009 au 31 décembre 2010, au cours de laquelle l’administration fiscale a relevé qu’elle s’était abstenue de facturer à la société mère libanaise certaines dépenses de communication et lui facturait à prix coûtant d’autres prestations, et considéré que ces agissements traduisaient un transfert indirect de bénéfices à l’étranger au sens de l’article 57 du CGI.
La filiale française remplissait plusieurs missions : (i) elle était en charge de la gestion et de la fabrication pour le groupe de la ligne de prêt-à-porter haut de gamme de jour dite « day wear » (comprenant la recherche et développement, la gestion de la production, de la vente et de la distribution, du financement, ainsi que de la gestion des risques de marché) ; (ii) elle assurait la distribution des accessoires de la marque Elie Saab pour l’ensemble des entités du groupe ; (iii) elle assurait la distribution en France et pour la clientèle européenne de la ligne de haute couture ; (iv) elle était en charge de la vente dans sa boutique parisienne et auprès des boutiques distribuant la marque « Elie Saab » dans le monde, d’une ligne de vêtements et d’accessoires de soirée, dite « night wear », développée par la filiale libanaise du groupe, la société Elie Saab Liban. Pour mener à bien ces différentes missions, la société disposait au sein de la boutique parisienne d’un salon destiné à présenter les créations de haute couture de la marque, dont elle prenait en charge les loyers et les agencements immobiliers. Elle y assurait l’accueil de la clientèle de la haute couture en mettant à sa disposition un espace privatisé et du personnel qualifié dans le conseil et la prise de mesure. Enfin, elle assurait l’organisation de défilés de la maison Elie Saab deux fois par an à Paris, pour chacune des deux collections de couture et de prêt-à-porter, et prenait en charge la communication de la marque ainsi que ses campagnes de promotion.
3 – Au cours du contrôle, l’analyse de l’organisation fonctionnelle du groupe a permis à l’administration d’établir que les actifs incorporels étaient détenus par la société holding ESG, tandis que la conception, la fabrication et le suivi qualité des produits de la marque relevaient exclusivement de la société Elie Saab Liban, et qu’à l’exclu- sion de la ligne de jour conçue et développée par la filiale française, dont la commercialisation n’avait toutefois pu aboutir que postérieurement aux exercices soumis à contrôle, la société française ne jouait aucun rôle stratégique au sein du groupe. Pour autant, en contrariété avec l’allocation des actifs et des fonctions entre les différentes entités, la société française assurait le financement de l’image de la marque « Elie Saab », d’où procédait un déficit d’exploitation important (et structurel depuis la création de la société française en 2002) en raison de dépenses externes élevées (dépenses de communication, coûts d’organisation des défilés) et de frais de structure importants (liés notamment au point de vente parisien de la marque et aux salaires des employés du service de presse de la marque), qui ne faisaient l’objet soit d’aucune refacturation à la mère libanaise, soit d’une simple re- facturation « at cost ». Le service a donc considéré que ces avantages octroyés à la société mère libanaise étaient constitutifs d’un transfert indirect de bénéfices à l’étranger ne relevant pas d’une gestion nor- male de l’entreprise au sens des dispositions de l’article 57 du CGI, et a réintégré le montant des dépenses liées à la promotion de la marque et à l’organisation des défilés qui n’avaient pas été refacturées à la société mère libanaise, une marge de 5 % pour celles des dépenses qui avaient donné lieu à une refacturation à prix coûtant ainsi que les dépenses de personnel du service de presse, en même temps qu’elle en a tiré les conséquences en matière de retenue à la source sur le fonde- ment des dispositions combinées des articles 119 bis, 2 et 111, c du CGI.
La société Elie Saab France, quant à elle, opposait deux séries d’arguments aux redressements. D’une part, elle défendait l’idée que les dépenses de promotion et de communication n’étaient pas engagées uniquement pour valoriser la marque Elie Saab, propriété de la société mère libanaise, mais aussi aux fins de l’exercice de son activité propre, eu égard à sa qualité de « centre de profits » du groupe pour les activités de prêt-à-porter de jour et accessoires. D’autre part, elle sou- tenait que les avantages consentis à sa société mère étaient compensés par des avantages consentis en retour par cette dernière, prenant la forme (i) de l’absence de refacturation de dépenses au profit de l’en- semble des entités du groupe (prestations de services support, contrat avec la chaîne de télévision Fashion TV, rémunération des deux co-dirigeants de la société mère et du créateur) et (ii) de l’absence de facturation d’une redevance de marque.
4 – Par une décision en date du 27 juin 2019, la cour administrative d’appel de Paris a toutefois rejeté les arguments de la société 2, annulant le jugement rendu le 28 mars 2017 par le tribunal administratif de Paris qui lui avait donné raison 3.
Sur le terrain de l’intérêt propre de la société française à supporter les dépenses litigieuses (marketing, promotion, service de presse, lo- cation d’un espace de vente), les juges d’appel ont notamment opposé que la société n’avait aucune collection de prêt-à-porter aboutie à promouvoir et à proposer aux clientes de la marque avant 2011, et que le contrat passé avec un prestataire extérieur au titre du développe- ment de la ligne d’accessoires, rédigé en termes généraux, ne pré- voyait pas les perspectives attendues de cette collaboration en termes de chiffre d’affaires de la société française. Dans le même sens, s’agissant des dépenses de publicité, de catalogue et de sponsoring, et de rénovation de la boutique parisienne, les juges d’appel ont relevé que les factures produites ne concernaient pas les produits de la ligne de jour et le marché français, et qu’au contraire, il résultait des pièces produites que les dépenses engagées participaient en réalité au rayonnement de la marque « Elie Saab » dans le monde, propriété de la holding libanaise. Quant aux dépenses liées au service de presse (dédiées, selon la société elle-même, à promouvoir non pas seulement la collection de prêt-à-porter de jour, mais aussi les collections de haute couture et de prêt-à-porter de nuit), les juges d’appel ont considéré que la contrepartie pour la société n’était pas établie, que ce soit pour la ligne de prêt-à-porter de jour, en raison du retard pris pour la
commercialiser, ou, pour les autres collections dont la société française assurait la distribution, compte tenu du caractère excessif des- dites dépenses en regard des bénéfices réalisés au titre de la fonction de distribution.
Sur le terrain des compensations obtenues à raison d’avantages consentis par la société mère libanaise, la cour administrative d’appel de Paris n’a pas davantage été convaincue, faute pour la société d’apporter des éléments démontrant l’implication du créateur sur la création de la ligne de jour, celle des deux dirigeants de la société mère libanaise sur la bonne marche, le contrôle et la gestion de la filiale française, et l’intérêt que présentait pour le développement de la ligne de prêt-à-porter de jour, et de distribution des produits du groupe, le contrat signé avec Fashion TV. De même, la société n’avait conclu aucun contrat avec la mère libanaise au titre de services support. Quant à l’absence de facturation de redevances de marque par la société mère, l’argument ne pouvait prospérer dès lors que la société française ne gérait, durant les années en litige, ni la fabrication, ni la commercialisation de la ligne de prêt-à-porter de jour.
5 – Saisi par la société aux fins d’annulation de la décision de la cour administrative d’appel de Paris, le Conseil d’État a jugé que celle- ci n’avait commis aucune erreur de droit ni insuffisamment motivé sa décision, ni dénaturé les pièces du dossier en rejetant les arguments de la société sur le double terrain de son intérêt à prendre en charge les dépenses litigieuses pour l’exercice de son activité propre 4 et de l’existence de contreparties 5. On notera que la Haute Assemblée a précisé, au point 2 de son arrêt, que les dispositions de l’article 57 du CGI « instituent, dès lors que l’administration établit l’existence d’un lien de dépendance et d’une pratique entrant dans les prévisions de l’article 57 du CGI, une présomption de transfert indirect de bénéfices qui ne peut être utilement combattue par l’entreprise imposable en France que si celle-ci apporte la preuve que les avantages qu’elle a consentis ont été justifiés par l’obtention de contreparties. Constitue une telle pratique la prise en charge par une entreprise établie en France de dépenses incombant à sa société mère établie hors de France, notamment en ce qu’elles contribuent au développement de la valeur d’une marque appartenant à celle-ci », cette dernière phrase faisant écho à celle issue du point 2 de sa décision Sté Ferragamo France du 23 novembre 2020 6, dans le sillage de laquelle la décision ici chroniquée s’inscrit. Pour rappel, dans cette dernière affaire, était en jeu le niveau des salaires et charges externes supportés par la filiale française du célèbre groupe de luxe italien visant à accroître, sur un marché stratégique dans le domaine du luxe, la valeur de la marque italienne qui n’avait pas encore la même notoriété que ses concurrents directs. Le surcoût induit par le recours à un personnel de vente particulièrement qualifié et à la location de locaux particulièrement prestigieux, établi par l’administration sur la base d’un benchmark avec dix-neuf entre- prises comparables exerçant de manière indépendante la distribution de produits de luxe, n’était pas compensé par le surcroît de marge brute dont bénéficiait la société Ferragamo France à raison d’une remise de 25 % consentie par la société italienne sur les produits de la marque. On notera qu’à la différence de ce qui avait prévalu dans cette affaire, le redressement de la société Elie Saab France n’avait pas com- mandé la réalisation d’une étude de comparables aux fins de l’identification de la présomption de transfert indirect de bénéfices, les avantages identifiés étant constitutifs d’« avantages par nature » 7 (au même titre que des prêts sans intérêt, des abandons de créance, le paiement de prestations inexistantes ou la prise en charge de frais de la société étrangère elle-même), dont la seule constatation suffit à déclencher le mécanisme de l’article 57, sous réserve que les liens de dépendance soient établis : dans l’affaire Elie Saab, l’avantage consistait dans l’absence de refacturation ou dans la refacturation à prix coûtant de dépenses incombant à la société mère, pratique qui n’appelait pas d’étude de comparables pour faire naître la présomption, tandis que dans l’affaire Ferragamo France, l’avantage consenti à la société italienne résidait dans l’insuffisance de marge brute de la société française, précisément établie par le recours à une comparaison avec des entreprises comparables.
En tout état de cause, on retiendra de cette séquence jurisprudentielle que l’insuffisance ou l’absence de rémunération d’une entre- prise française supportant des dépenses contribuant au développement de la valeur d’une marque dont sa société mère étrangère est la propriétaire, ont désormais toute leur place parmi les pratiques identifiées par le juge de l’impôt comme se situant dans l’orbite de l’article 57. Dans le domaine de la mode, le rayonnement particulier de la place de Paris ne vient pas altérer les résultats objectifs issus de l’analyse fonctionnelle, du moins tant que l’entité locale ne dispose pas de moyens lui permettant d’exercer un contrôle sur les risques afférents à la marque.
B. – Analyse fonctionnelle : la prise en compte concrète des risques effectivement supportés plutôt que le manichéisme de l’opposition entrepreneur principal/ entité routinière
6 – Par ses décisions SAS SKH Holding et SAS RKS (cette dernière étant mentionnée aux tables du Lebon) en date du 4 octobre 2021, le Conseil d’État apporte d’utiles précisions tout à la fois sur la place de l’analyse fonctionnelle dans la dialectique de la preuve en matière de maniement de l’article 57 du CGI, et sur le rôle que doit jouer, au sein de l’analyse fonctionnelle, le couple entrepreneur principal/entité routinière 8.
7 – La société de droit français RKS est spécialisée dans la fabrication de roulements sur mesure de très grande dimension à destination de l’industrie civile et militaire. Elle fait partie du groupe international suédois SKF (Svenska Kullager Fabriken), leader mon- dial sur les marchés des roulements, solutions d’étanchéité, mécatronique et systèmes de lubrification. La société RKS est une filiale à 100 % de la société SKF Holding France, tête de pont d’une intégration fiscale, elle-même détenue à 100 % par la société mère suédoise. Cette dernière détermine et met en œuvre les grandes orientations stratégiques du groupe, tandis que les unités opérationnelles, dans les différents pays, se répartissent les fonctions de fabrication et de distribution des produits aux clients finaux. La société RKS assure ainsi la fabrication de produits, vendus presque exclusivement à l’étranger par l’intermédiaire de sociétés apparentées en charge de leur distribution auprès des clients tiers. À la suite d’une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos en 2009 et 2010, l’administration, ayant constaté que la société RKS vendait ses produits à perte aux sociétés étrangères du groupe en charge de leur distribution, et y voyant un transfert indirect de bénéfices, a remis en cause la politique de prix pratiquée au sein du groupe sur le fondement de l’article 57 du CGI, et en a tiré les conséquences en matière de retenue à la source, sur la base d’une application combinée des dispositions des articles 109, 1,1° et 119 bis, 2 du CGI.
Au cours du contrôle, l’administration, pour établir la présomption de transfert indirect de bénéfices, avait eu recours à la méthode transactionnelle de la marge nette (« MTMN »), qui figure parmi les « méthodes transactionnelles de bénéfices » acceptées par l’OCDE. À la différence des « méthodes traditionnelles » consistant en une comparaison directe des prix pratiqués dans le cadre respectivement d’une transaction contrôlée et d’une transaction sur le marché libre, les méthodes transactionnelles de bénéfices permettent de déduire l’anormalité du prix pratiqué, de façon indirecte, à partir de la com- paraison de ratios financiers pertinents d’une entreprise membre d’un groupe et d’une entreprise comparable indépendante (en l’espèce, le ratio de marge nette rapporté au chiffre d’affaires). Le choix du panel pertinent d’entreprises à comparer supposait l’établisse- ment préalable du profil fonctionnel de la société RKS. S’étant livrée à une analyse fonctionnelle du groupe (consistant à identifier la place de l’entreprise au sein du groupe ainsi que son rôle économique, et à recenser les fonctions exercées, les risques encourus, ainsi que les actifs corporels et incorporels utilisés), l’administration avait estimé que la société n’avait pas la qualité d’« entrepreneur principal », mais d’entité de production « routinière ». Cette distinction n’est plus guère utilisée par le comité des affaires fiscales de l’OCDE. Mais elle continue à avoir une importance en pratique, tant elle se situe au cœur des débats opposant l’administration et les praticiens des prix de transfert dans le cadre des contrôles. L’administration elle-même la reprend expressément dans sa doctrine, en définissant l’entrepreneur principal de la façon suivante : « Il s’agit dans les faits de l’entre- prise qui assume les risques principaux (qu’ils se concrétisent ou non) et qui prend les décisions stratégiques. En général, elle possède également les immobilisations incorporelles clés (marques, brevets, savoir-faire…) et supporte les dépenses y afférentes (recherche et développement, gestion des marques et de la publicité). Cette notion est importante car, au sein d’un groupe, l’entrepreneur principal reçoit la rémunération résiduelle, c’est-à dire le bénéfice (ou les pertes) restant une fois que toutes les entités ont été justement rétribuées » 9. La distinction entre « entrepreneur principal » et « entité routinière » est fondamentale en termes d’allo- cation des pertes : l’entrepreneur principal ayant économiquement droit à la rémunération résiduelle, après que toutes les autres entités ont été rémunérées, peut, le cas échéant, subir une perte (reflétant la concentration des risques à son niveau), alors qu’une entité routinière ne le peut, en principe, pas, eu égard à son rôle fonctionnel « faible » par nature. Au cas d’espèce, l’administration a constaté que la société RKS présentait un taux de marge nette négatif (-10,46 % en 2009 et –21,87 % en 2010), reflétant donc, en soi et selon la logique précitée, une anomalie par rapport à son profil fonctionnel. Elle a cherché à identifier un niveau de marge nette de pleine concurrence, en retenant un échantillon de huit entreprises françaises dépourvues de liens de dépendance, et ayant un profil fonctionnel similaire (i.e. exerçant une activité de production « routinière ») dans un secteur voisin, dont il est ressorti que la moyenne, pour les sociétés comparées, du taux de marge nette s’élevait à 2,33 % en 2009, et 2,62 % en 2010. Elle en a donc déduit l’existence d’une présomption de transfert indirect de bénéfice au titre des transactions en cause, à hauteur de la différence entre le montant constaté des recettes et le montant qui aurait résulté de l’application du taux de marge nette moyen du panel d’entreprises comparables.
8 – Les juges du fond se sont opposés en première instance et en appel quant à la réception des critiques formulées par la société RKS, s’agissant de la définition de son profil fonctionnel par l’administration. Le tribunal administratif de Montreuil, d’après la lecture des conclusions de Karin Ciavaldini devant le Conseil d’État (la décision n’étant pas publiée), aurait considéré que la société exerçait un rôle stratégique, participait, selon les modalités définies au sein du groupe, à l’activité de recherche et développement, pilotait la fixation des prix à l’endroit des clients finaux et intervenait à tous les stades de la relation commerciale avec ces clients. Le tribunal, souscrivant ainsi à la thèse d’un rôle fonctionnel beaucoup plus dense de la société, avait donc, par deux décisions en date du 23 avril 2018, prononcé la décharge des redressements 10. À l’inverse, les juges d’appel ont re- tenu les éléments suivants pour établir le profil fonctionnel routinier de la société, conformément à la thèse de l’administration : l’importance du barème de prix fixé chaque mois par la société mère suédoise dans la chute du taux de marge de la société ; l’absence de détention par la société d’actifs immatériels (concessions, brevets et droits similaires) qui caractérisent l’entrepreneur principal dans un secteur industriel ; l’absence d’exercice d’une fonction commerciale auprès des clients finaux, celle-ci étant essentiellement exercée par les unités en charge de la distribution, la société se limitant à apporter « un soutien technique sur demande aux business units », la disposition d’actifs corporels et la maîtrise technique dans les roulements de grande taille ne révélant pas, à eux seuls, un rôle directeur dans le groupe SKF. Sur ces bases, la cour administrative d’appel de Versailles a donc rétabli les impositions en litige, par deux arrêts en date du 22 juin 2020 11.
9 – C’est contre ces deux décisions que la société RKS et sa mère intégrante, la société SKF Holding France, se pourvoient en cassation, en choisissant un double angle d’attaque, fondé d’une part, sur la démarche probatoire utilisée dans le maniement de l’article 57, et d’autre part, sur l’établissement du profil fonctionnel de la société RKS. Sur le premier terrain, les sociétés reprochent à la cour d’avoir commis une erreur de droit dans la dévolution de la charge de la preuve. En substance, le recours par l’administration à la méthode comparative n’aurait pas été utilisé aux fins d’établir, comme il se doit, la présomption de transfert indirect de bénéfice, mais uniquement, dans un second temps, après avoir constaté l’existence d’une rémunération négative de la société RKS, aux seules fins d’estimation du montant des bénéfices indirectement transférés. Comme si l’indice de la marge nette négative avait suffi à lui seul à faire naître la présomption, les sociétés requérantes estiment que la cour se serait méprise sur la portée de leurs écritures en relevant qu’elles ne critiquaient pas les termes de comparaison retenus par l’administration. Sur le second terrain, il était reproché à la cour d’avoir commis une erreur de droit en se fondant sur le seul fait que la société RKS n’était pas un entrepreneur principal pour lui dénier le droit de supporter des pertes économiques, et d’avoir insuffisamment motivé ses arrêts, en ne répondant pas aux arguments expliquant les taux de marge nette fortement négatifs des années 2009 et 2010, notamment la réorientation vers le marché des éoliennes à compter de 2006.
10 – La question de droit posée par ces affaires se dédouble donc. D’une part, ces affaires interrogent la place de l’analyse fonctionnelle dans la dialectique de la preuve en matière de mise en œuvre de l’article 57. D’autre part, et surtout, elles fournissent l’occasion au Conseil d’État de préciser, pour la première fois dans sa jurisprudence, l’importance de la distinction entre entrepreneur principal et entité routinière, dont l’OCDE elle-même s’est détachée, et sa portée, à savoir le fait que, mécaniquement, la négation de la qualité d’entre- preneur principal suffirait, pour la société concernée, à justifier qu’elle ne puisse, économiquement, supporter des pertes.
11 – Sur le premier terrain (la dévolution de la charge de la preuve), la Haute Assemblée va écarter les arguments des requérantes, dans les termes suivants : « Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l’administration a fait application, lors du contrôle de la société RKS, d’une « méthode transactionnelle de marges nettes » (MTMN), consistant à comparer le ratio de marge nette sur le chiffre d’affaires de cette société à raison des opérations en cause avec celui de huit entreprises dépourvues de lien de dépendance et exerçant dans des domaines d’activité voisins. Ce faisant, elle a constaté que le ratio de marge nette de la société était de – 10.46 % en 2009 et de – 21.87 % en 2010, là où il s’élevait à 2.33 % en 2009 et 2.62 % en 2010 pour la moyenne des sociétés comparées. Dès lors, la cour administrative d’appel a pu sans erreur de droit juger que le service, à l’issue de cette comparai- son dont elle a relevé qu’aucune critique ne lui était adressée, avait établi une présomption de transfert de bénéfices pour les transactions en cause, à hauteur de la différence entre le montant constaté des recettes et celui qui aurait résulté de l’application du taux de marge nette moyen du panel d’entreprises comparables » 12. En somme, le Conseil d’État, sur cet aspect, rejette l’argument des requérantes (qui avait prospéré en première instance) fondé sur ce que la négativité de la marge nette aurait été, à elle seule, le fait générateur de la présomption de transfert indirect de bénéfices, la comparaison avec des entreprises similaires n’intervenant que dans un second temps, à des fins de fixation du quantum de la marge. De fait, comme l’indique Karin Ciavaldini dans ses conclusions (qui rappelle qu’« un taux de marge nette durablement négatif constitue un indice qui doit inciter le vérificateur à investiguer ; […] il n’est bien sûr pas suffisant et ne démontre rien en lui-même et pris isolément »), la cour avait retracé les étapes suivies par l’administration, à savoir (i) la mise en œuvre d’une analyse fonctionnelle, puis (ii) la recherche de comparables à l’aune des résultats de l’analyse fonctionnelle, et enfin (iii) la comparaison des taux de marge nette, (iv) dont elle a induit la présomption du transfert de bénéfices ; la cour avait ensuite relevé que les termes de comparaison n’étaient pas contestés, et examiné les arguments de la société pour justifier l’écart constaté, sans y faire droit. Cet aspect des décisions ici chroniquées renseigne donc sur la place qu’occupe l’analyse fonctionnelle dans la démarche probatoire, par rapport au choix des comparables. Celle-ci peut valablement être réalisée en amont du choix des comparables, la composition du panel d’entreprises indépendantes sélectionnées étant justement guidée par la recherche d’un profil fonctionnel similaire.
12 – Sur le second terrain (la portée du concept d’entrepreneur principal), en revanche, le Conseil d’État va censurer les décisions des juges d’appel, dans les termes suivants : « Toutefois, la société RKS soutenait devant la cour, pour justifier cet écart, qu’elle exerçait un rôle fonctionnel plus important que celui d’une simple unité de production au sein du groupe SKF, ce qui lui donnait vocation à assumer un risque de développement et un risque commercial et que ce risque avait affecté, pour les années en litige, son bénéfice d’exploitation. En premier lieu, ainsi d’ailleurs que le préconisent les principes de l’OCDE applicables aux prix de transfert, pour qu’il puisse être regardé comme établi qu’une société membre d’un groupe a effectivement vocation à assumer un risque économique que la politique de prix de transfert du groupe la conduit à supporter, et que cette politique est par suite conforme au principe de pleine concurrence, il faut que cette société dispose de fonctions de contrôle et d’atténuation effectives de ce risque ainsi que de la capacité financière de l’assumer. En se fondant, pour juger que la société RKS n’avait pas vocation à assumer des pertes économiques liées à l’exploitation de son activité, sur le seul motif que cette société n’avait pas le statut d’« entrepreneur principal » au sein du groupe SKF, sans rechercher si sa position fonctionnelle au sein du groupe lui donnait vocation à porter les risques spécifiques qu’elle invoquait, à savoir d’une part, des risques stratégiques liés au choix de développer de nouveaux produits, et, d’autre part, des risques opérationnels liés à l’efficacité des processus de production, la cour a entaché son arrêt d’erreur de droit. En second lieu, […] elle n’a pas répondu à l’argumentation que la société soulevait pour justifier de la baisse de marge sur les deux exercices en cause, selon la- quelle elle avait subi les conséquences d’un risque stratégique lié à son choix de réorienter son unique activité vers le secteur de l’éolien. Elle a, dès lors, entaché son arrêt d’une insuffisance de motivation » 13. La Haute Assemblée refuse donc la portée donnée par la cour au concept d’entrepreneur principal, ou plus exactement, à celui d’entité routinière qui en est le corollaire, et qui exclurait à lui seul toute possibilité de rémunération négative, au profit d’une analyse fonctionnelle plus exigeante, fondée sur les risques spécifiques portés par l’entité. La solution, par un effet en retour, met à mal la pertinence même du recours à l’opposition entrepreneur principal/entité routinière en tant qu’axe central d’appréciation d’une politique de prix de transfert. On retiendra donc de ces décisions du 4 octobre 2021 les principaux enseignements suivants.
13 – Sur le terrain de la dialectique de la preuve instaurée par l’article 57 du CGI, la réalisation par l’administration fiscale d’une analyse fonctionnelle – quelle qu’en soit, au final, la pertinence – suffit à considérer comme remplies par l’administration les conditions faisant naître la présomption de transfert indirect de bénéfice. En contrepoint, le contribuable peut donc, pour combattre cette présomption, procéder à la critique de l’analyse fonctionnelle réalisée par l’administration, ce qui peut se traduire par la démonstration de l’existence d’un profil fonctionnel plus dense que celui qui lui a été assigné au premier temps de la dialectique de la preuve. Au cas d’espèce, la société avançait qu’elle avait vocation à assumer un risque de développement et un risque commercial, contrairement à une simple entité de production routinière. Le Conseil d’État précise qu’« une différence ainsi constatée par l’administration entre les prix pratiqués par une entreprise française avec les entreprises qui lui sont liées et les prix pratiqués entre des entreprises similaires exploitées normalement peut être regardée comme ne constituant pas un avantage dépourvu de contrepartie susceptible d’être réintégré dans les résultats de cette entre- prise si elle est justifiée par les risques que celle-ci a vocation à assumer et qui affectent sa rentabilité. Dans ce dernier cas, il lui incombe de justifier à la fois qu’elle avait, du fait des fonctions qu’elle exerçait au sein du groupe, vocation à assumer ces risques, et que l’écart entre les ratios financiers constatés et ceux d’entreprises similaires exploitées normalement s’explique par la réalisation de ces risques»14. Ce faisant, la Haute Assemblée enrichit la gamme des éléments de justification de prix déviant du principe de pleine concurrence (composée, classique- ment, des contreparties de nature commerciale obtenues par la société consentant l’avantage), en y ajoutant la « contre-analyse » fonctionnelle produite par la société.
14 – S’agissant de la notion d’entrepreneur principal, son apparition pour la première fois dans la jurisprudence du Conseil d’État se traduit par le rejet de sa pertinence en tant que critère exclusif d’allocation économique des pertes au sein d’un groupe, eu égard à la simplification extrême à laquelle mène le couple qu’elle forme avec la notion d’entité routinière. Les faiblesses de ce couple sont parfaite- ment mises en évidence par Karin Ciavaldini dans ses conclusions. D’une part, la binarité s’accommode mal, par définition, de situations mettant en jeu plus de deux entités, a fortiori lorsque l’entrepreneur principal désigné n’est pas directement partie à la transaction contrôlée : dans le cas du groupe SKF, l’administration avait considéré que c’était la société mère suédoise qui avait la qualité d’entre- preneur principal, déniant donc ce statut à la société RKS, mais sans se prononcer sur le positionnement fonctionnel des sociétés distributrices. D’autre part, la binarité induit, par construction, une négation de la complexité, et le rejet d’« une approche fine et nuancée des rôles et responsabilités des entités étudiées ».
Le Conseil d’État, suivant les préconisations de sa rapporteure publique, s’inscrivant elles-mêmes dans la ligne des travaux les plus récents de l’OCDE, rejette donc cette logique manichéenne, au profit d’une analyse beaucoup plus fine des profils fonctionnels, en posant comme critère cardinal celui du risque économique effectivement supporté, tout en précisant que l’entité ayant vocation à assumer ce risque doit disposer de fonctions de contrôle et d’atténuation effective de ce risque, ainsi que de la capacité financière à l’assumer. Les deux décisions du 4 octobre 2021 ne se caractérisent donc pas tant par une éviction définitive du couple entrepreneur principal/entité routinière, que par un rejet de ses conséquences mécaniques, selon les- quelles une entité prestataire de services au sein d’un groupe ne pourrait percevoir une rémunération négative. Au contraire, sur la base d’une analyse in concreto des risques effectivement supportés, une entité qualifiée en première analyse d’entité routinière pourrait voir sa rentabilité affectée par la réalisation de risques qu’elle sup- porte effectivement, pouvant conduire, concrètement, à la réalisation de pertes, nonobstant son statut, et sous réserve qu’elle ait les moyens de contrôler lesdits risques et de les assumer financièrement. Sur ce point, il appartiendra à la juridiction de renvoi de procéder à la vérification de ces éléments. L’affinement de l’analyse fonctionnelle préconisé par la Haute Assemblée dans ces décisions renouvelle donc les outils d’appréciation des politiques de prix de transfert. Elle donne aux entreprises simples prestataires de services la possibilité de justifier, le cas échéant, la revendication de pertes, si elles sont en mesure d’apporter la preuve qu’elles contrôlent les risques à l’origine desdites pertes. Les affaires Elie Saab et Ferragamo France précitées, par les- quelles le Conseil d’État a rejeté les dépenses des filiales de distribution françaises relatives au développement et à la valorisation de marques appartenant à leurs sociétés mères étrangères, auraient pu recevoir une solution différente si les entités de distribution avaient été dotées de moyens effectifs de contrôle des risques, ce qui aurait pu être justifié, au cas d’espèce, par l’importance de la place de Paris pour le rayonnement international d’une marque de luxe. Si l’affinement de l’analyse fonctionnelle ainsi opéré par le Conseil d’État est bien- venu sur le plan des principes, et en tout état de cause encouragé par le comité des affaires fiscales de l’OCDE, il peut toutefois, sur le plan pratique, soulever quelques difficultés, et commander, possiblement, une revue de la politique existante de prix de transfert des groupes internationaux français, fondée sur la dualité des profils fonctionnels. Des entités considérées comme routinières par opposition à un entre- preneur principal, mais qui pourraient, concrètement, être amenées à supporter certains risques, et être dotées effectivement de fonctions de contrôle desdits risques – c’est-à-dire, concrètement, des fonctions humaines significatives pertinentes à la prise de risque – pourraient se voir reprocher par l’administration une rémunération (positive) trop faible, alors même que leur rémunération aurait été établie sur la base d’une étude de comparables. Le maintien des niveaux de rémunérations, fixés sur la base d’une politique de prix de transfert « classique », des entités routinières, suppose donc de s’assurer (et de documenter) l’absence de tous moyens (notamment des fonctions humaines nécessitant la prise active de décisions) de contrôle local des risques, quelle qu’en soit la nature (risque de stock, risque de crédit, risque de change, de taux, risque de garantie, risque de responsabilité sur les produits, risque réglementaire, etc.). En un mot, de s’assurer que les risques sont bien centralisés… au niveau de l’entre- preneur principal qui n’a plus, semble-t-il, le monopole, ni des pertes économiques, ni, symétriquement et nécessairement, de l’intégralité des profits « résiduels » du groupe.
2. Dispositifs de lutte contre l’évasion fiscale
15 – Nous traiterons du dispositif de droit interne de l’article 155 A du CGI et du dispositif conventionnel du bénéficiaire effectif.
A. – Article 155 A : précisions et confirmations
16 – L’année 2021 a fourni au Conseil d’État l’occasion de compléter sa jurisprudence sur le dispositif de l’article 155 A du CGI, dans la continuité des avancées déjà réalisées l’année dernière 15. Pour rappel, le I de ce texte prévoit que les sommes perçues par une personne domiciliée ou établie hors de France en rémunération de services rendus par une ou plusieurs personnes domiciliées ou établies en France sont imposables au nom de ces dernières dans trois cas alternatifs : (i) soit, lorsque celles-ci contrôlent directement ou indirectement la personne qui perçoit la rémunération des services (« cas n° 1 ») ; (ii) soit, lorsqu’elles n’établissent pas que cette personne exerce, de manière prépondérante, une activité industrielle ou commerciale, autre que la prestation de services (« cas n° 2 ») ; (iii) soit, en tout état de cause, lorsque la personne qui perçoit la rémunération des services est domiciliée ou établie dans un État étranger ou un territoire situé hors de France où elle est soumise à un régime fiscal privilégié au sens de l’article 238 A du CGI (« cas n° 3 »). Le II de ce texte étend, pour sa part, les règles prévues ci-avant aux personnes domiciliées hors de France, pour les services rendus en France. La Haute Assemblée a ainsi pu se prononcer, en 2021, tout à la fois sur les questions des modalités de l’imposition entre les mains du bénéficiaire réel, et sur les contours du champ d’application du dispositif lorsque sont en jeu des redevances de marques.
1° Rattachement des revenus redressés à une catégorie cédulaire : méthodologie, critères et conséquences en termes de sanctions applicables
17 – Dans une décision du 16 juillet 2021, le Conseil d’État a eu l’occasion de compléter sa jurisprudence sur les modalités d’application des dispositions de l’article 155 A du CGI (le II de cet article étant en jeu dans cette affaire), notamment en ce qui concerne la question du rattachement à une catégorie cédulaire donnée des sommes re- dressées sur ce fondement, et les conséquences d’un tel rattachement en matière de pénalité pour activité occulte 16.
18 – Dans cette affaire, une société à responsabilité limitée de droit français exerçant une activité de construction immobilière, la société Aldès, dont M. B, domicilié en Suisse, est associé et gérant minoritaire, a fait l’objet d’une vérification de comptabilité, au cours de laquelle l’administration a considéré que des sommes qui avaient été facturées à cette société, au cours de l’année 2011, par une société de droit suisse, la société Algiluc, détenant 99.8 % de son capital, avaient en réalité rémunéré des prestations d’assistance administrative et de gestion que lui avait rendues M. B, étant ici précisé que ce dernier était administrateur de la société suisse (laquelle ne comptait pas d’autre personnel que lui) et détenteur, avec des membres de sa famille, de l’intégralité de son capital (on était donc en présence d’une situation relevant du « cas n° 1 » suivant la classification utilisée ci-avant). Les prestations litigieuses consistaient, pour une opération de promotion immobilière donnée, en la préparation du descriptif technique de l’opération, l’élaboration de la grille des prix de vente et le suivi de l’état de commercialisation, la préparation et la gestion du plan de financement, l’assistance à l’obtention des diverses autorisations administratives nécessaires, la rédaction des actes, le suivi des affaires juridiques et contentieuses, le contrôle des coûts, le suivi de la trésorerie, la gestion des relations commerciales, le suivi comptable et fiscal.
L’administration a donc, sur le fondement des dispositions du II de l’article 155 A du CGI, imposé les sommes en question entre les mains de M. B, dans la catégorie des bénéfices non commerciaux. Estimant que ce dernier s’était livré en France à l’exercice d’une activité non commerciale occulte, elle a assorti le redressement de la pénalité pour activité occulte de 80 % prévue au c du 1 de l’article 1728 du CGI.
19 – Alors que le tribunal administratif de Montreuil avait refusé d’accorder à M. B la décharge des impositions supplémentaires et de la pénalité, la cour administrative d’appel de Versailles, par une déci- sion en date du 27 juin 2019, a considéré que l’administration n’était pas fondée à imposer les sommes litigieuses dans la catégorie des bénéfices non commerciaux, mais a fait droit à la demande de substitution de base légale présentée par l’administration à titre subsidiaire, et validé l’imposition dans la catégorie des traitements et salaires 17. La cour avait jugé que, s’il ne résultait pas de l’instruction que M. B ait disposé d’un contrat de travail avec la société française de nature à créer un lien de subordination entre lui et cette société, il n’était pas contesté qu’il en était le gérant et qu’il devait être regardé comme ayant perçu une rémunération en contrepartie de cette activité de gérance, si bien que l’administration n’était pas fondée à imposer les sommes rémunérant les prestations regardées comme réalisées par M. B dans la catégorie des bénéfices non commerciaux. Les juges d’appel ont donc, en conséquence, prononcé la décharge de la majoration de 80 % pour activité occulte, inapplicable en regard de la qualification des revenus ainsi retenue. L’administration s’est pour- vue en cassation contre cette décision, en tant qu’elle avait partielle- ment accueilli l’appel formé par le contribuable, estimant qu’elle était frappée d’une erreur de droit et d’une erreur de qualification juridique, l’enjeu de l’affaire étant, outre la réduction de la base à hauteur de 10 % du fait de la substitution de la catégorie des traitements et salaires à celle des bénéfices non commerciaux, l’application de la pénalité de 80 %.
20 – Cette affaire fournit donc l’occasion au Conseil d’État d’appliquer le principe de solution dégagé dans sa décision Aubert du 4 novembre 2020, commentée dans les lignes de cette chronique l’an- née dernière, et par laquelle il s’était prononcé, pour la première fois de façon explicite, sur la question du rattachement des revenus réitégrés sur le fondement de l’article 155 A du CGI à une catégorie cédulaire donnée, en fonction de leur nature réelle 18. Pour rappel, la Haute Assemblée avait, au point 3 de cette décision, tout à la fois posé pour principe le nécessaire rattachement des sommes à une catégorie de revenus donnée, et décrit la méthodologie applicable, dans les termes suivants : « Ces dispositions ne dispensent pas l’administration, pour soumettre cette rémunération à l’impôt sur le revenu entre les mains de la personne ayant rendu les services, de faire application des règles de taxation relatives à la catégorie de revenus dont elle relève. La détermination de cette catégorie ne saurait dépendre que de l’analyse des relations existant entre la personne domiciliée ou établie en France qui a rendu pour l’essentiel les services facturés et le bénéficiaire de ces services ». Cette décision apportait donc un précieux éclairage tout à la fois sur l’objet des dispositions de l’article 155 A du CGI (permettre la détermination du destinataire réel des revenus, sans créer une source autonome de rattachement des revenus ainsi redressés) et ses
modalités d’application (les sommes réintégrées doivent être rattachées à la catégorie cédulaire appropriée, conformément à la réalité des rapports juridiques – nécessairement reconstitués par une opération de déconstruction/reconstruction comparable à celle applicable en matière d’abus de droit – unissant le contribuable rendant les services au bénéficiaire de ces derniers).
Dans ce cadre général, était posée dans cette affaire une question de droit prenant en réalité sa source dans le droit des sociétés, à savoir celle de la détachabilité des prestations réalisées par le gérant d’une société à responsabilité limitée par rapport à ses fonctions de manda- taire social, et se déversant dans le droit fiscal, à savoir le rattachement des sommes correspondantes aux bénéfices non commerciaux, ou aux traitements et salaires, aux fins d’application des dispositions de l’article 155 A, telles que précisées par la décision du 4 novembre 2020.
21 – Dans sa décision du 16 juillet 2021, la Haute Assemblée, après avoir repris, comme elle le fait toujours désormais, son considérant de principe issu de la décision Piazza 19, enrichi du passage précité issu du précédent Aubert, va rejeter le pourvoi du ministre, dans les termes suivants : « En premier lieu, après avoir relevé que M. B exerçait les fonctions de gérant minoritaire de la société Aldès et que les prestations administratives, comptables et juridiques qu’il lui rendait pour les be- soins de son activité de promotion immobilière et qui avaient donné lieu aux rémunérations en litige se rattachaient à l’exercice de ces fonctions, la cour administrative d’appel a jugé que les sommes en litige étaient taxables dans la catégorie des traitements et salaires. En statuant ainsi, la cour, qui a porté sur les faits de l’espèce une appréciation souveraine non entachée de dénaturation, n’a pas commis d’erreur de droit, dès lors qu’à supposer que les prestations effectuées par M. B excédaient les actes de gestion courante de la société Aldès, elles ne pouvaient, eu égard à leur nature et aux conditions de leur fourniture relevées par le juge du fond, être regardées comme caractérisant l’exercice d’une activité libérale distincte des fonctions de gérant. En second lieu, dès lors qu’elle a ainsi jugé à bon droit que les sommes en litige, versées par la société Aldès à M. B, rémunéraient ses fonctions de gérant et non des prestations rendues dans l’exercice d’une activité non commerciale distincte de ces fonctions, la cour n’a entaché son arrêt ni d’erreur de droit ni d’erreur de qualification juridique des faits en jugeant que les conditions de mise en œuvre de la pénalité pour activité occulte prévue par les dispositions du c) de l’article 1728 du CGI n’étaient pas réunies » 20.
22 – Le Conseil d’État refuse donc de censurer l’arrêt de la cour, même si celui-ci présentait une certaine fragilité, en regard du raisonnement raccourci sur lequel il reposait. En effet, la cour s’était, semble-t-il, contentée, en substance, de la qualité de gérant minoritaire du requérant pour en déduire le régime fiscal devant être appliqué aux sommes litigieuses, sans analyser la nature des prestations rendues, et leur caractère dissociable ou non de l’activité de gérance. Selon Karin Ciavaldini, la cour aurait dû d’abord rechercher si les prestations rémunérées par la société Aldès se rattachaient à l’activité de gérant minoritaire de M. B : si elle estimait que tel n’était pas le cas, elle aurait alors dû rechercher si ces prestations étaient accomplies dans le cadre d’un lien de subordination à l’égard de la société, ce qui commandait leur taxation selon les règles des traitements et salaires ; si, au contraire, les prestations pouvaient être regardées comme fournies par un entrepreneur individuel dans le cadre d’un contrat de prestation de services (c’était la thèse du tribunal), les rémunérations correspondantes relevaient de la catégorie des bénéfices non commerciaux. La cassation a toutefois été évitée, au moyen d’une relecture proposée par la rapporteure publique, selon laquelle la cour aurait implicitement, mais nécessairement, estimé qu’à supposer même que les prestations faisant l’objet de la rémunération litigieuse soient dissociables de l’activité de gérant de la société, le requérant ne pouvait, dans les circonstances de l’espèce, qu’être regardé comme ayant effectué ces prestations dans le cadre d’un lien de subordination à l’égard de la société. Dans ces conditions, l’erreur de droit étant écartée, l’erreur de qualification juridique des faits (dont relève l’appréciation par le juge d’un lien de subordination caractérisant l’existence d’une activité salariée à partir de faits souverainement appréciés par les juges du fond) devait l’être aussi.
On retiendra donc de cette décision que le prestataire réel visé par les dispositions de l’article 155 A du CGI aura tout intérêt, à défendre, au stade de la mise en œuvre de l’imposition, le rattachement des sommes à la catégorie des traitements et salaires. Pour ce faire, il y aura lieu de démontrer, soit que les prestations litigieuses se rattachent à l’exercice du mandat social exercé au sein de la société versante dont la rémunération relève de cette catégorie, soit, en cas de dissociation par rapport à la fonction de mandataire social, que les prestations sont rendues dans le cadre d’un lien de subordination juridique par rap- port à la société versante eu égard à la nature et aux conditions de fourniture des prestations rendues. Tel sera notamment le cas si les prestations, comme au cas d’espèce, relèvent du « cœur de métier » de la société, ce qui laisse peu de place à une hypothétique logique de sous-traitance, ou en l’absence de mobilisation par le prestataire réel de moyens autres que ceux appartenant à la société, ce qui affaiblit la possibilité de reconnaissance de l’exercice d’une activité libérale. Le rattachement à la catégorie cédulaire des traitements et salaires per- mettra l’évitement de la majoration de 80 % pour activité occulte, dont sont régulièrement assortis les redressements fondés sur le dis- positif de l’article 155 A 21 – pour lesquels la jurisprudence Frutas y Hortalizas Murcia SL 22 semble accueillie avec réserve par les juges 23 – et partant, depuis l’entrée en vigueur de la loi contre la fraude fiscale du 23 octobre 2018 24, une transmission automatique du dossier au parquet.
2° Les redevances de marques ne constituent toujours pas la rémunération d’un service entrant dans le champ de l’article 155 A
23 – Par une décision en date du 5 novembre 2021, le Conseil d’État a eu l’opportunité de préciser sa jurisprudence sur le champ d’application matériel de l’article 155 A du CGI, dans le sens de l’exclusion des redevances de marques du dispositif, confirmant la solution adoptée dans sa décision Vuarnet du 8 juin 2020, chroniquée l’année dernière 25. Cette affaire souligne aussi, accessoirement, l’importance d’une coordination renforcée entre le juge fiscal et le juge pénal, d’autant plus nécessaire dans un contexte de pénalisation du droit fiscal.
24 – Cette affaire met en scène un couple de résidents fiscaux français, M. et Mme O, créateurs d’une gamme de produits parapharmaceutiques à base d’huiles essentielles (dénommée « Puressentiel »), ayant cédé, le 5 juin 2008, les marques et brevets de cette gamme à la société de droit britannique Sisig, pour la somme de 50 000 €. La société britannique a conclu, dès le lendemain et pour une durée de cinq ans renouvelables, un contrat de licence exclusive avec la société de droit belge Aroma Théra (devenue Puressentiel Benelux, puis Laboraroire Puressentiel Benelux), représentée par Mme O, et dont les deux créateurs détenaient conjointement 51.6 % du capital. Le contrat de concession prévoyait le versement par la société belge à la société britannique de redevances trimestrielles d’un montant égal à 3 % du chiffre d’affaires réalisé sur les ventes des produits commercialisés sous ces marques et des produits fabriqués au moyen des bre- vets concédés. Le montant des redevances versées s’élevait à 98 000 € en 2009, 296 500 € en 2010 et 480 000 € en 2011.
À la suite d’un ESFP portant sur les années 2009 à 2011, M. et Mme O ont été imposés, sur le fondement de l’article 155 A du CGI (sur la base du I de cet article), à raison des redevances perçues par la société Sisig en application du contrat de licence. La position de l’ad- ministration a consisté à considérer que les redevances litigieuses rémunéraient un service de gestion de portefeuille de marques et brevets, consistant en leur entretien, dépôt, extension et renouvelle- ment, dont elle a considéré qu’il était essentiellement réalisé par Mme O. En l’absence de démonstration par l’administration du contrôle direct ou indirect par les époux O de la société britannique, le redressement relevait du « cas n° 2 », selon la classification utilisée plus haut, le service ayant considéré que les époux O n’établissaient pas que la société britannique exerçait, de manière prépondérante, une autre activité industrielle ou commerciale. Les redressements avaient été assortis de la majoration de 80 % pour activité occulte prévue à l’article 1728 du CGI.
25 – La cour administrative d’appel de Paris a donné raison à l’ad- ministration, par une décision en date du 6 juin 2019 26. Pour statuer en ce sens, les juges d’appel s’étaient fondés sur un certain nombre d’éléments : (i) le prix anormalement bas de la cession des marques et brevets à la société britannique survenue le 5 juin 2008, en regard du niveau des redevances versées par la société belge au titre des 3 années suivantes ; (ii) les doutes quant à la structure de détention de la société britannique (un actionnaire unique personne morale située au Liberia, une domiciliation au sein d’une fiduciaire spécialisée dans « l’optimisation fiscale ») ; (iii) le fait qu’il ressortait des correspondances intervenues au cours des années 2009 à 2011 entre des salariés de la société belge et les représentants de la société britannique, saisies dans le cadre d’une procédure de visite et de saisie domiciliaire mise en œuvre sur la base des dispositions de l’article L. 16 B du LPF, que les décisions relatives à la protection des marques et des brevets de la gamme Puressentiel étaient prises par Mme O. Sur ces bases, la cour avait conclu que la société britannique avait été « interposée entre la société Puressentiel Benelux et Mme O », et que « les sommes versées par la société Puressentiel Benelux doivent être regardées comme rémunérant une prestation de services au sens des dispositions précitées de l’article 155 A du Code général des impôts, en dépit de la cession du 5 juin 2008 ». La cour avait ajouté que « l’administration établit, notamment par la production de correspondances saisies, que les décisions relatives à l’entretien des marques et des brevets ont été prises par Mme O, qui a ensuite autorisé le paiement des factures établies au nom de la société Sisig Ltd. Dès lors, les redevances en cause correspondent, pour l’essentiel, à des prestations réalisées par Mme O, sans que les requérants puissent utilement soutenir qu’elles ne sont pas exclusivement la contrepartie de ces prestations » 27. La cour avait aussi écarté l’argument, soulevé par les requérants, de l’abus de droit « rampant », dans les termes suivants : « Pour assujettir M. et Mme O à des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu, l’administration s’est bornée à constater, comme elle était en droit de le faire, que Mme C avait exercé pendant les années 2009 à 2011 une activité imposable en France dont la rémunération était versée à l’étranger. Ce faisant, l’administration, qui n’a écarté aucun acte comme ne lui étant pas opposable et notamment pas l’acte de cession du 5 juin 2008, s’est placée exclusivement sur le fondement des dispositions de l’article 155 A du Code général des impôts, lesquelles sont destinées à faire échec à certaines pratiques visant à soustraire à l’impôt sur le revenu français des rémunérations imposables en France. Elle pouvait mettre en œuvre ces dispositions sans rechercher si pouvaient également être appliquées les dispositions précitées de l’article L. 64 du Livre des procédures fiscales réprimant les abus de droit » 28. C’est contre cette décision que les époux O se pourvoient en cassation devant le Conseil d’État, invoquant une erreur de droit, doublée d’une erreur de qualification juridique sur la notion de prestation de services.
26 – On notera par ailleurs que l’affaire a connu des développements sur le plan pénal, la procédure judiciaire ayant été plus rapide que la procédure administrative. Par une décision du 8 avril 2021 29, la chambre criminelle de la Cour de cassation a en effet rejeté les pourvois des époux O contre l’arrêt de la cour d’appel de Versailles en date du 22 novembre 2019 les ayant condamnés pour fraude fiscale, en même temps que les demandes de sursis à statuer dans l’attente d’une décision définitive du juge fiscal. Faisant référence à son arrêt du 11 septembre 2019 30, énonçant que le juge pénal n’est pas tenu de surseoir à statuer jusqu’à ce qu’une décision définitive du juge de l’impôt soit intervenue, mais que par exception, il peut prononcer, dans l’exercice de son pouvoir souverain, le sursis à statuer en cas de risque sérieux de contrariété de décisions, notamment en présence d’une décision non définitive déchargeant le prévenu de l’impôt pour un motif de fond 31, la Cour de cassation a considéré qu’« En l’espèce, il ne résulte pas des éléments de la procédure qu’il résulterait un risque sérieux de contrariété entre les décisions des juridictions pénales et administratives dès lors que si le Conseil d’État a été saisi d’un recours contre la décision de la cour administrative d’appel ayant statué sur les demandes de M. O et Mme O tendant notamment à ce qu’ils soient déchargés de l’impôt et des majorations qui leur ont été appliquées, tant le tribunal administratif initialement saisi que la juridiction d’appel les ont déboutés de leurs demandes » 32.
27 – C’est donc dans ce contexte juridiquement contraint, marqué par la circonstance que la constatation matérielle des faits opérée par le juge pénal (concrètement (i) l’absence de compétence de la société britannique en matière de gestion de marques et de brevets, privant de justification la cession desdits marques et brevets, (ii) l’intervention de Mme O dépassant le cadre de la simple assistance prévue parle contrat de cession, en tant qu’elle dictait la conduite à tenir pour le dépôt et la protection des marques, pour les formalités administratives à accomplir et soumettait à son autorisation le paiement des factures que la société britannique devait régler, attestant qu’elle se comportait comme « le véritable gestionnaire de la société Sisig », et (iii) le fait que cette dernière présentait « tous les caractères d’une co- quille vide », formant le substrat de la décision de condamnation, était revêtue de l’autorité absolue de la chose jugée, que le Conseil d’État était amené à se prononcer sur la question de savoir si les redevances litigieuses pouvaient être appréhendées par le dispositif de l’article 155 A du CGI. Alors que la question avait déjà été traitée dans le précédent Vuarnet, il s’agissait donc, pour le Conseil d’État, de réaffirmer le principe selon lequel les redevances de concession de marques et brevets ne relèvent pas du champ d’application matériel de l’article 155 A. Mais la question de droit devait être affinée : il s’agissait, aussi, de savoir si le versement des redevances pouvait couvrir, en outre, la rémunération d’un véritable service, dissociable de la simple concession du droit d’exploitation, et consistant dans l’entre- tien et la gestion du portefeuille de marques et de brevets, avec pour effet en retour de permettre l’appréhension des sommes litigieuses par le dispositif de l’article 155 A, étant ici observé qu’au cas particulier, l’administration avait adopté une approche globalisante, puisque faute de ventilation entre revenus passifs et actifs, elle avait considéré que la totalité des redevances était absorbée par ces revenus actifs.
28 – Dans son arrêt du 5 novembre 2021 33, le Conseil d’État va censurer la décision de la cour du 6 juin 2019, à la faveur d’une motivation particulièrement efficace : « En statuant par ces motifs alors, d’une part, que les redevances versées en contrepartie de la concession du droit d’exploiter une licence de marques et brevets ne peuvent être regardées comme la contrepartie d’un service rendu au sens et pour l’application de l’article 155 A du Code général des impôts et que, d’autre part, l’entretien, le renouvellement, l’extension des marques et brevets et, plus généralement, l’accomplissement des actes nécessaires au maintien de leur protection ne peuvent être regardés comme une activité dissociable de la concession même de ces licences de marques et brevets, la cour administrative d’appel de Paris a commis une erreur de droit et, par suite, inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis » 34.
29 – Le Conseil d’État confirme donc que la solution dégagée dans le précédent Vuarnet du 8 juin 2020 n’était pas d’espèce, mais de principe. Cette dernière décision n’avait pas été mentionnée aux tables du Lebon, contrairement à celle ici chroniquée, inscrivant donc d’une manière indiscutable dans le droit fiscal positif le principe d’exclu- sion des redevances de licences de marques et de brevets de l’orbite de l’article 155 A, en tant qu’elles ne sont pas la rémunération d’un « service », laquelle notion constitue la seule clé d’entrée dans le dispositif, et dont le Conseil d’État livre une interprétation stricte. Au- delà, la Haute Assemblée rejette donc la tentative de forcement du champ d’application de cet article au moyen d’une sorte d’« activation » des revenus défendue par l’administration, en référence à une prestation de service « de gestion de portefeuille de marques et brevets », consistant en leur entretien, dépôt, extension et renouvellement, dissociable de la concession des actifs incorporels. À cela, nous voyons un fondement économique et un fondement juridique, qu’Émilie Bokdam-Tognetti met parfaitement en avant dans ses conclusions. Sur le plan économique, le raisonnement des juges du fond prenait pour postulat l’absence de valeur économique des éléments incorporels (comme pouvait le laisser penser le prix certes anormalement bas perçu au titre de la cession du 5 juin 2008). Mais, sur ces bases, et si les éléments incorporels n’avaient aucune valeur, la « prestation » d’entretien desdits éléments ne pouvait en avoir davantage. Surtout, sur le plan juridique, le raisonnement de la Haute Assemblée se ressource en réalité, implicitement mais nécessairement, à une analyse purement civiliste du contrat de concession pour rejeter le caractère dissociable des « prestations » : l’entretien, l’extension, le renouvellement des actifs incorporels, tous actes liés au maintien de la protection de ces actifs, ne sont que « l’expression et la conséquence de l’obligation du concédant de garantir à son concessionnaire la jouissance des droits concédés, à l’instar de l’obligation d’un bailleur de maintenir la chose louée en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée et d’en faire jouir paisiblement le preneur » 35. À cette aune, les actes visant à la préservation du maintien de la protection juridique ne peuvent donc pas être considérés comme « détachables » de la concession du droit d’exploiter commercialement les actifs incorporels, mais en font au contraire partie intégrante, en tant qu’ils sont les garants de l’objet même du contrat de concession : comme le souligne Olivier Fouquet, « la redevance a pour contrepartie la valeur économique des marques et brevets concédés. Quel serait l’objet de la redevance si les marques et brevets dont elle rémunère le droit d’exploiter, perdaient leur valeur économique faute d’être protégés et défendus?» 36. On appréciera donc la prévalence du substrat civiliste en tant que fondement d’une décision qui aurait pu être contaminée, dans une conception plus autonomiste du droit fiscal, par les logiques applicables en matière de TVA. En effet, on se rappelle que, dans une décision Jauffret du 3 mars 1993, le Conseil d’État s’était prononcé en faveur de l’assujettissement à la TVA de redevances perçues par un sportif (un tennisman en activité) à raison de la concession à une société fabriquant des raquettes de tennis, du droit d’exploiter son nom et sa notoriété 37. Mais il est vrai que le précédent Vuarnet avait déjà, sur ce plan, tracé le chemin.
30 – Faut-il déduire de ce qui précède que les redevances de licences de droits incorporels seraient, en tout état de cause, immunisées contre le dispositif de l’article 155 A du CGI, au motif qu’elles ne sont jamais la contre-valeur d’un service rendu ? Nous ne le pensons pas. La ligne de démarcation renvoie, nous semble-t-il, à la distinction entre revenus actifs et revenus passifs dans toute sa pureté. Si la décision du 5novembre 2021 nous enseigne qu’il est impossible d’« activer » les revenus rémunérant une prestation accessoire à une concession de licence d’éléments incorporels, pour satisfaire la condition de qualification d’un « service », il ne peut en être inféré que des redevances devraient être exclues du dispositif lorsque, dans une situation à front renversé, elles sont indissociables de l’exercice d’une véritable activité, dont la concession de licence d’exploitation d’actifs incorporels n’est que l’accessoire. C’est toute la différence entre l’affaire Vuarnet et l’affaire Edmilson, jugée le 4 décembre 2013 par le Conseil d’État 38. La première affaire concernait un sportif n’exerçant plus d’activité sportive au moment des faits : la concession de l’utilisation des marques et logos « Vuarnet » ne commandait aucune intervention active de ce dernier, puisqu’elle n’était que la contrepartie de la notoriété personnelle du sportif, acquise au cours d’une carrière professionnelle terminée. Comme dans l’affaire ici chroniquée, le caractère strictement passif des revenus rendait inapplicable le dispositif de l’article 155 A. Dans l’affaire Edmilson, la Haute Assemblée avait au contraire jugé que les dispositions de l’article 155 A du CGI étaient applicables aux redevances versées par un club de football à une société de droit britannique au titre de l’utilisation du nom et de l’image du joueur de football, sur la base des éléments suivants : (i) la société l’Olympique Lyonnais avait acquis les droits à l’exploitation de l’image et du nom du joueur postérieurement à son recrutement par le club et pour une durée correspondant à celle du contrat de travail la liant à ce joueur, et (ii) le palmarès du joueur s’était constitué, pour l’essentiel, postérieurement à ce recrutement. Le Conseil d’État en déduisait que « l’exploitation du nom et de l’image de M. Edmilson Gomes de Moraes a été concomitante à son activité sportive exercée au service de l’Olympique Lyonnais », tandis que le joueur n’apportait « aucun élément de nature à établir que son nom et son image auraient été exploités indépendamment de son activité au sein de ce club sportif », et notamment n’établissait pas que son nom et son image avaient été «effectivement exploités par la société [britannique] » 39. Dit autrement, dans l’affaire Edmilson, l’activité exercée par le sportif subsumait la concession du droit d’utiliser son image et son nom, et le caractère actif du revenu ouvrait une voie d’accès aux dispositions de l’article 155 A.
31 – Une dernière remarque concerne l’articulation entre droit fiscal et droit pénal. Comme indiqué plus haut, la chambre criminelle de la Cour de cassation n’a pas jugé bon de surseoir à statuer dans l’attente de la décision définitive du Conseil d’État, refusant d’identifier un risque sérieux de contrariété entre les décisions des juridictions pénales et administratives, au motif que tant le tribunal administratif que la cour administrative d’appel avaient rejeté les demandes des requérants. Or, comme l’a relevé Olivier Fouquet, plu- sieurs éléments auraient cependant pu justifier le sursis : en regard de l’écart de 7 mois entre les deux décisions des juges suprêmes, le pourvoi avait déjà nécessairement fait l’objet d’une admission par le Conseil d’État (une telle admission n’étant prononcée que dans un tiers des pourvois au vu d’un moyen sérieux) ; à la date de la décision de la Cour de cassation, le Conseil d’État, dans l’arrêt Vuarnet, avait déjà, de façon claire, posé le principe de la nonrelevance de l’article155 A en présence de redevances de licences d’actifs incorporels 40. Sans doute le contexte général de l’opération, marqué au sceau de l’artifice (la cession à bas prix des actifs incorporels, l’enchaînement de la cession avec la mise en place du contrat de concession, l’immixtion de Mme O dans la gestion de la société britannique la faisant apparaître comme le véritable maître de l’affaire, et le défaut de substance de la société britannique) a-t-il pesé de façon déterminante sur la décision du juge pénal, qui ne s’est par ailleurs jamais prononcé sur l’objet des rémunérations visées. Mais, dès lors que le litige fiscal s’était développé sur le terrain légal de l’article 155 A, il ne peut être reproché pénalement aux époux O une quelconque fraude fiscale pour ne pas avoir déclaré en France les revenus litigieux en vertu de ces dispositions, dont le Conseil d’État a finalement dit qu’elles étaient inapplicables au cas d’espèce. La solution aurait été sans doute différente si l’administration avait invoqué à l’appui de son redressement la théorie de l’abus de droit, qui aurait permis d’écarter la cession des droits à la société britannique, et probable- ment d’en tirer toutes les conséquences sur le plan pénal. Il reste donc aux requérants le recours à la révision de la décision de la chambre criminelle du 8 avril 2021. Cet exemple illustre la nécessité du renforcement de la coordination entre le juge pénal et le juge fiscal, à l’heure où le mouvement de pénalisation du droit fiscal s’accélère.
B. – Clause de bénéficiaire effectif : l’aggravation des incertitudes
32 – Par une décision min. c/ Sté Performing Right Society Ltd du 5 février 2021, le Conseil d’État a jugé qu’une société britannique exerçant une activité de collecte et de gestion des droits d’utilisation, de diffusion et de distribution des œuvres, notamment musicales, dont les membres sont les auteurs, compositeurs ou interprètes, ne pouvait être regardée comme le bénéficiaire effectif, au sens de l’article 13 de la convention fiscale franco-britannique du 19 juin 2008, des redevances de source française correspondant à l’utilisation en France des œuvres des artistes qu’elle représente 41.
33 – Le litige portait sur la retenue à la source prélevée en France au titre de « royalties » versées à une société britannique, la société Per- forming Right Society Ltd (PRS), ayant pour objet la gestion collective des droits d’utilisation, de diffusion et de distribution d’œuvres musicales, dont les auteurs sont membres. Cet organisme britannique, créé en 1914, gère ainsi les droits d’environ 150 000 membres. Aux termes d’un accord de représentation réciproque, son homologue français, la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM), a versé à la société PRS des redevances relatives à l’utilisation en France des œuvres des artistes (en grande majorité britanniques) représentés par cette dernière. À l’occasion du paie- ment de ces sommes à la société PRS, la SACEM a prélevé, au titre des années 2013 et 2014, une retenue à la source sur les fondements com- binés des articles 92 et 182 B du CGI, au taux de droit interne en vigueur à l’époque (33.3 %). Dans un contexte où n’étaient question- nées ni l’applicabilité de l’article 182 B du CGI, ni la résidence fiscale britannique de la société, la société PRS a contesté l’application de la retenue à la source sur le fondement de sa contrariété avec l’article 13 de la convention franco-britannique du 19 juin 2008, réservant l’im- position des royalties à l’État de la résidence de la société bénéficiaire, en l’absence d’établissement stable dans l’État de la source.
34 – L’administration a fait partiellement droit à cette réclamation, uniquement à hauteur des redevances revenant aux membres de PRS qui étaient résidents britanniques, soit pour 86 % et 82 %, estimant que seuls les membres de PRS pouvaient être considérés comme les bénéficiaires effectifs des redevances, et non PRS elle-même. À la suite d’un rejet par l’administration de la nouvelle réclamation contre le rejet du surplus de sa demande, la société britannique a saisi le juge de l’impôt. Le tribunal administratif de Montreuil, par deux jugements des 18 avril 2017 et 3 avril 2018, puis la cour administrative d’appel de Versailles, par deux arrêts des 12 mars 2019 et 18 juin 2019, ont fait droit aux demandes de la société, estimant que celle-ci devait être considérée comme le bénéficiaire effectif des redevances de source française. Pour parvenir à cette conclusion, les juges d’appel avaient fait primer des considérations juridiques, tout à la fois d’ordre patrimonial et organique, issues des statuts de la société, sur des considérations économiques, sur la base d’un raisonnement qui semblait fort pertinent 42. En effet, ils avaient relevé tout d’abord qu’eu égard aux statuts de la société, les artistes cédaient à cette dernière l’intégralité des droits sur leurs œuvres, si bien que la société exerçait seule la protection et la gestion des revenus générés. Ils avaient relevé ensuite que le conseil d’administration de la société, composé en par- tie mais non exclusivement des membres de cette dernière et qui était investi statutairement des pouvoirs les plus étendus d’administration de cette dernière, déterminait souverainement l’affectation des revenus tirés de l’exploitation des œuvres et pouvait choisir de les redistribuer à ses membres, ou d’abonder divers fonds de garantie, d’aide sociale à ses membres ou à leurs ayants droit, de promotion des activités artistiques ou de bienfaisance, dont la société assurait seule la gestion. La cour de Versailles s’était donc satisfaite de ces éléments afin d’établir que la société PRS était le bénéficiaire effectif des redevances perçues, alors même que, dans les faits, il était incontesté que celle-ci reversait la majeure partie des sommes collectées à ses membres.
35 – Le ministre s’est pourvu en cassation devant le Conseil d’État en soulevant notamment un moyen tiré de l’erreur de qualification juridique des faits à avoir considéré la société PRS comme le bénéficiaire effectif des redevances versées par la SACEM, alors qu’elle n’agissait en réalité, selon le pourvoi, que comme un intermédiaire. La Haute Assemblée va procéder à l’annulation des arrêts de la cour de Versailles, dans cette décision du 5 février 2021, rendue aux conclusions contraires du rapporteur public Laurent Domingo. Cette décision pouvait être l’occasion, pour le Conseil d’État, de poser, pour la première fois, une définition positive et explicite du bénéficiaire effectif, notion conventionnelle – également utilisée dans les textes de droit interne transposant les directives européennes – dont l’existence au fond précède l’essence. Force est d’admettre, sur ce point, que la décision est particulièrement décevante.
36 – Pour conclure à l’existence d’une erreur de qualification juridique des faits, le Conseil d’État estime, au point 5 de la décision, qu’« Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les artistes membres de la société Performing Rights Society lui cèdent, en vertu de l’article 7 de ses statuts constitutifs, les droits qu’ils détiennent sur leurs œuvres. Si, en vertu des articles 47 et 48 de ces mêmes statuts, le conseil d’administration de la société détermine l’affectation des revenus tirés de l’exploitation de ces œuvres, ces revenus doivent néanmoins, en principe, être répartis entre les membres de la société « après déduction des frais y compris à caractère social justifié ». Les redevances redistribuées sont alors comptabilisées en charges déductibles dans les écritures comptables de la société et imposées entre les mains de ses membres et non de la société. Il ressort en outre des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, si une partie des redevances collectée par la société est affectée par le conseil d’administration de la société, soit à des œuvres charitables ou des dons aux membres ou aux employés, soit à des fonds de réserve, à l’entretien des biens de la société ou à tout autre fin que le conseil estime nécessaire ou propice aux intérêts de la société, l’essentiel de ces redevances est, chaque année, en pratique, reversée aux membres de la société. En déduisant de l’ensemble de ces éléments, que la société Performing Rights Society Ltd, qui a pour objet de collecter et de gérer les revenus perçus par ses membres, devait être regardée comme le « bénéficiaire effectif », au sens des stipulations de l’article 13 de la convention fiscale franco-britannique cité au point 4, de la part des redevances collectées pour elle en France par la SACEM et reversées à ses membres, la cour administrative d’appel de Versailles a inexactement qualifié les faits de l’espèce ».
37 – On admettra donc que la notion de bénéficiaire effectif de- meure paradoxalement assez insaisissable à la lecture de cette décision, qui en réalité fait naître davantage d’incertitudes qu’elle n’apporte de réponses. Tout au plus, retiendra-t-on qu’une entité récipiendaire de revenus ne saurait être qualifiée de bénéficiaire effectif de ces derniers dès lors (i) qu’en principe, elle doit répartir lesdits revenus entre ses membres et (ii) qu’en pratique, l’essentiel des revenus est reversé à ses membres, alors même que son conseil d’administration détermine l’affectation des revenus, selon ce qu’il estime être conforme à l’intérêt social. La position du Conseil d’État apparaît donc à front renversé par rapport à l’analyse de la cour administrative d’appel de Versailles qui avait accordé la préséance au critère juridique de la détermination souveraine de l’affectation des revenus – c’est-à-dire en réalité au contrôle économique dont dispose le récipiendaire sur les revenus perçus – reléguant au second rang l’importance des reversements effectués, en pratique, au profit des membres. Le rapporteur public, dans ses conclusions contraires à la décision rendue, valide d’ailleurs expressément l’analyse de la cour, en indiquant qu’« il ressort des faits de l’espèce énoncés par la cour que la société PRS dispose d’un pouvoir de disposition de ses ressources, lesquelles ne sont pas nécessairement et statutairement reversées aux membres après déduction des frais de gestion. Il y a bien perception de revenus et emploi de ces revenus conformément aux décisions prises par les organes de la société, et parmi ces emplois des distributions aux membres, car la perception d’une rémunération par les membres est bien un des motifs, si ce n’est le motif principal, pour lequel ils ont cédé leurs droits à PRS. PRS ne peut donc, dans ces conditions, être regardé comme un agent ou manda- taire interposé ; ce n’est pas une société relais, ni une simple caisse par où transitent des fonds. C’est une société qui, sans capital ni actionnaire, a bien un intérêt social propre et dispose d’un réel pouvoir sur ses revenus. La circonstance, évoquée par le ministre, que le conseil d’administration de PRS comprenne des membres (ils sont 22 sur les 27) ne saurait avoir pour conséquence que ce sont les membres qui détiennent en réalité, directement, le pouvoir d’utiliser des revenus qui seraient leurs revenus ».
38 – En complément, on signalera les précisions apportées par des auteurs familiers du dossier : (i) il n’existe pas d’identité entre les revenus perçus de la SACEM par PRS et les revenus reversés aux membres, puisque nous comprenons que la redistribution aux auteurs est effectuée sur la base d’une logique de répartition par points, opérant une déconnexion avec les revenus primaires ; (ii) les statuts de PRS ne prévoient pas d’obligation de distribution des résultats mais le choix entre une affectation en report à nouveau et une affectation aux membres : le reversement important de sommes aux auteurs participerait, dans cette logique, de l’intérêt de la société, qui incite- rait ainsi les auteurs à lui faire apport de leurs droits, aux fins de renforcement de son propre pouvoir de négociation avec les utilisateurs 43. Il en ressort (i) que la novation opérée du fait du pas- sage par PRS, en vertu d’une logique économique propre à cet organisme, semble empêcher de considérer que la société n’est qu’un « conduit » n’ayant vocation qu’à encaisser les produits pour le compte de ses membres, et (ii) qu’à défaut d’une obligation contractuelle de reversement des produits, il apparaît que la société possède donc un véritable contrôle économique sur les sommes perçues. Il ressort de ces éléments que la société PRS ne semble entrer dans aucune des deux grandes catégories caractérisant, négativement, le bénéficiaire effectif. Elle n’est ni, au sens originel, tel qu’issu de la version des commentaires du modèle OCDE de 1977, un agent ou manda- taire, parce qu’elle a effectivement la propriété des revenus, ni, suivant la conception plus moderne telle qu’issue de la modification des commentaires de 2005, à la suite du rapport de 2003 du Comité des affaires fiscales, une « société relais », propriétaire dans la forme, mais ne dis- posant « dans la pratique que de pouvoirs très limités qui font d’elle un simple fiduciaire ou un simple administrateur agissant pour le compte des parties intéressées » 44.
39 – En refusant de donner à la société PRS la qualité de bénéficiaire effectif des revenus, nonobstant l’intensité des attributs de propriété qu’elle exerce sur les revenus, la Haute Assemblée en altère d’une certaine manière la nature, laquelle relève d’une logique de l’entre-deux : elle est davantage qu’un simple complément à la règle conventionnelle d’attribution des revenus, mais elle n’est pas un mécanisme anti-abus subjectif 45. En effet, selon les commentaires de l’OCDE, la notion de bénéficiaire effectif procède de la nécessité de clarifier le sens des mots « payés à […] un résident », afin de préciser que l’État de la source n’est pas obligé de renoncer au droit d’imposer les revenus uniquement parce que ceux-ci ont été payés directement à un résident d’un État avec lequel l’État de la source a conclu une convention 46. Cette conception a justifié l’édiction de la théorie de la clause implicite du bénéficiaire effectif, dont la célèbre décision Diebold Courtage est l’illustration emblématique en droit français 47. C’est ainsi que, dans cette affaire, le Conseil d’État avait fait reposer sa solution sur une interprétation (certes constructive) des termes singuliers de l’article 12, § 1 de la convention franco-néerlandaise de 1973 (« Les redevances provenant de l’un des États et payées à un résident de l’autre État ne sont imposables que dans cet autre État »). L’ex- pression « payées à » invitait donc le Conseil d’État, en bonne logique juridique, à examiner si les associés étaient les bénéficiaires réels des redevances en vue de conclure à l’application de la convention 48. Mais la clause de bénéficiaire effectif ne se réduit pas à cette fonction de clarification de la condition d’attribution personnelle des revenus dans un cadre conventionnel. Elle est un mécanisme anti-abus ayant une fonction spécifique de lutte contre le « treaty shopping », à savoir le recours abusif à une situation conventionnelle, l’abus se traduisant par le fait, pour le créancier d’un revenu, d’interposer entre lui et le débiteur une entité dans un État lié à l’État du débiteur par une convention fiscale plus favorable, alors que l’entité interposée ne dis- pose pas de réelles prérogatives sur les revenus perçus. Il s’ensuit une déconnexion entre le récipiendaire des revenus (logique distributive d’attribution personnelle des revenus) et leur bénéficiaire effectif, dont la clause neutralise les effets pour l’État de la source. Mais c’est un mécanisme anti-abus qui présente la particularité de revêtir une nature objective. Ainsi, par son caractère objectif, le mécanisme ne suppose pas que soit posée, au niveau du récipiendaire, la question de la nature ou du but des activités exercées dans l’État de la résidence, dès lors que le récipiendaire exerce des prérogatives sur les revenus perçus démontrant qu’il en a le contrôle économique, quand bien même il n’en aurait pas, in fine, la pleine jouissance, laquelle reviendra aux bénéficiaires ultimes. La recherche du but poursuivi par certains membres ou associés de l’entité (par hypothèse résidents d’un autre État), qui chercheraient à utiliser celle-ci à des fins d’évitement d’une retenue à la source plus lourde, pose la question de l’artifice à un autre niveau – le leur – et suppose d’entrer dans une logique subjective, qui n’a pas droit de cité, à nos yeux, dans la mise en œuvre de la clause de bénéficiaire effectif. C’est dans cette perspective, toutefois, que peut entrer dans l’analyse la clause prévoyant, telle que celle du § 5 de l’article 13 de la convention franco-britannique, que « Les dispositions du présent article ne s’appliquent pas si le principal objectif ou l’un des principaux objectifs d’une personne concernée par la constitution ou l’affectation du droit ou du bien générateur des redevances a été de tirer avantage du présent article grâce à cette constitution ou à cette affectation ». Laurent Domingo, dans ses conclusions sur l’affaire ici chroniquée, le dit avec une grande pertinence : « le ministre s’inquiète de ce que […] des redevances françaises, collectées par la SACEM et transférées à PRS, puissent in fine échapper à tout impôt s’agissant de membres de PRS qui ne sont pas résidents du Royaume-Uni et qui pour- raient même être résidents d’États non conventionnés à la France, voire d’États et territoires non coopératifs. Mais, c’est à ce titre, il nous semble, que peut jouer la clause anti-abus qui figure au § 5 de l’article 13 […]. Autrement dit, il nous semble que ce n’est pas du côté de PRS elle-même qu’il convient de rechercher l’artifice, cette société ayant été créée en 1914 en dehors de tout schéma d’optimisation fiscale par une voie conventionnelle qui n’existait pas encore, mais plutôt du côté des membres qui sont adhérents de PRS sans être résidents fiscaux du Royaume-Uni et qui peuvent, eux, avoir été motivés par un but fiscal. La récupération d’une dette fiscale au niveau de ces membres est cependant, évidemment, plus difficile ».
40 – Au fond, il y aurait lieu d’appliquer à un organisme de gestion collective de droits d’auteur comme PRS les solutions préconisées par le commentaire de l’OCDE en matière d’organismes de placement collectif (OPC), selon lequel « Un État contractant peut également souhaiter rechercher si les dispositions existantes d’une convention sont suffisantes pour empêcher l’OPC d’être utilisé d’une manière potentiellement abusive. Il est possible qu’un OPC puisse satisfaire toutes les conditions requises pour demander les bénéfices d’une convention en son nom propre, même si, en pratique, ces revenus sont soumis à un impôt faible ou nul. Dans ce cas, l’OPC offrirait aux résidents de pays tiers des bénéfices d’une convention dont ils n’auraient pu bénéficier s’ils avaient investi directement. En conséquence, il pourrait être souhaitable de limi- ter les bénéfices qui pourraient normalement être accordés à de tels OPC, soit par des règles anti-abus ou antichalandage fiscal d’application générale (telles qu’elles sont examinées sous la rubrique « Usage incorrect de la Convention » […]) ou par une disposition spécifique traitant des OPC » 49. Dit autrement, les inquiétudes qui sont exprimées par le ministre et rapportées par Laurent Domingo supposent, selon nous, de porter l’analyse un cran au-dessus de l’organisme lui-même, à la faveur d’un glissement de l’objectif vers le subjectif. Cela étant dit, même si la clause anti-abus générale apparaît techniquement pertinente pour traiter le sujet, encore faudra-t-il, pour l’administration, pouvoir démontrer la fraude à la loi commise par l’adhérent non- résident, ce qui supposera que celui-ci n’ait pas véritablement fait l’apport de ses droits à la société PRS ou n’accepte pas de se plier aux contraintes liées aux statuts de la société. Les difficultés pratiques de caractérisation de l’artifice dans ces conditions risquent de rendre la tentative assez vaine, il faut bien l’admettre.
41 – L’aporie à laquelle mènent toutes ces remarques est sans doute le signe que la question, au fond, n’aurait pas dû être posée, du moins dans les mêmes termes. Au fond, le rejet de la qualité de bénéficiaire effectif, au cas d’espèce, n’était concrètement possible que si PRS avait eu la nature d’agent ou de mandataire, conformément à l’acception classique remontant à 1977, écartant logiquement le bénéfice des conventions à une personne qui n’est pas considérée comme le propriétaire du revenu dans son État de résidence. Mais le Conseil d’État ne le dit pas, et pour cause, il apparaît que tel n’est pas le cas. À cet égard, on notera la critique de la décision de la cour de Versailles portée par Bruno Gouthière dans son ouvrage de référence dans les termes suivants : « La qualité de bénéficiaire effectif de cette société et, par suite, son éligibilité au bénéfice des conventions fiscales nous paraissent cependant douteuses, étant donné que la société britannique ne faisait, en réalité, que gérer les droits transmis par ses sociétaires et encaisser les produits correspondants pour les leur reverser sous déduction de sa rémunération. Les commentaires du comité des affaires fiscales de l’OCDE vont d’ailleurs dans le sens de l’application de la convention conclue avec l’État de résidence des auteurs et non pas celui de la société de gestion collective» 50. Toutefois, il y a lieu des eréféreraux commentaires de l’OCDE cités par cet auteur, et qui concernent le nouvel article 29 du modèle, relatif au « Droit aux avantages », qui sont rédigés comme suit : « Exemple I : RCO, société résidente de l’État R, est un organisme de gestion collective qui octroie des licences pour le compte de détenteurs de droits d’auteur et droits voisins au titre de spectacles musicaux en public ou de la diffusion de cette musique à la radio, à la télévision ou sur l’Internet. SCO, société résidente de l’État S, mène des activités similaires dans l’État S. Les artistes et détenteurs de droits d’auteur de divers pays font de RCO ou SCO leur agent pour octroyer des licences et recevoir des redevances au titre des droits d’auteur et des droits voisins qu’ils détiennent ; RCO et SCO distribuent à chaque détenteur le montant de redevances qu’ils perçoivent pour le compte de ce détenteur, minoré d’une commission […]. RCO a conclu un accord avec SCO qui prévoit que SCO octroie des licences aux utilisateurs dans l’État S et verse des redevances à RCO au titre des droits gérés par RCO ; RCO fait de même dans l’État R au titre des droits que SCO gère. SCO a convenu avec l’administration fiscale de l’État S qu’il traitera la retenue d’impôt sur les redevances au titre des paiements qu’il effectue au profit de RCO, sur la base des conventions applicables entre l’État S et l’État de résidence de chaque détenteur de droits représenté par RCO, à partir des informations communiquées par RCO, car ces détenteurs de droits sont les bénéficiaires effectifs des redevances payées par SCO à RCO» 51. Si l’exemple donné par le commentaire OCDE est particulièrement proche des faits litigieux de l’affaire PRS, il n’en demeure pas moins qu’il prend pour hypothèse que les organismes de gestion collective agissent en qualité d’agents des auteurs. La solution préconisée est donc parfaite- ment en phase avec l’acception classique du bénéficiaire effectif : dans cette hypothèse, alors même que les redevances sont versées à l’organisme de gestion collective, celui-ci n’est pas éligible au bénéfice de la convention avec l’État de la source, puisqu’il n’intervient qu’au nom et pour le compte des auteurs. L’exemple n’est donc pas aussi topique que l’on pourrait le penser, puisque PRS ne semble pas intervenir en tant que simple mandataire des auteurs, dont on comprend qu’ils lui font apport de leurs droits.
42 – Dès lors, la voie choisie par la Haute Assemblée semble buter sur la nature même de PRS, eu égard à sa qualité d’organisme de gestion collective. En effet, la fraude à la loi, dont le Conseil d’État, dans son arrêt Bank of Scotland du 29 décembre 2006 52, nous a appris qu’elle était implicitement recouverte par la notion de bénéficiaire effectif, s’accommode mal du pluralisme. Une filiale interposée dans un groupe de sociétés ou la structuration particulière d’un investisse- ment sont des situations où l’on trouve des sociétés relais, vectrices d’une forme de planification internationale potentiellement agressive : dans ce type de situation, la logique objective du mécanisme du bénéficiaire effectif, supposant de tester l’intensité des attributs de propriété dont jouit le récipiendaire des revenus, recoupe la logique subjective de la fraude à la loi, supposant de tester les motiva- tions du bénéficiaire réel supposé. Mais il nous semble impossible de considérer qu’un organisme de gestion collective de droits d’auteur, regroupant quelques 150 000 membres, puisse être considéré comme le vecteur d’une quelconque fraude à la loi.
43 – En conclusion, la décision min. c/ Performing Right Society du 5 février 2021 n’est donc pas le grand arrêt de principe sur le bénéficiaire effectif. Elle doit être considérée pour ce qu’elle est, à savoir une décision d’espèce, nous renseignant sur le fait que la Haute Assemblée exerce un contrôle de qualification juridique des faits sur la notion conventionnelle de bénéficiaire effectif. C’est d’ailleurs sur ce point que porte le fichage aux tables du recueil Lebon.
3. Application des conventions fiscales
44 – En matière d’application des conventions fiscales, deux sujets importants ont retenu notre attention en 2021, tous deux ayant trait à la mise en œuvre de la règle du butoir : la question de l’application de cette règle en présence d’intérêts versés par des succursales étrangères, et la question de l’imputation de l’impôt prélevé à l’étranger à raison d’une cession de titres représentant une participation substantielle sur l’imposition due en France au titre de la quote-part de frais et charges de 12 % sur les plus-values à long terme.
A. – Règle du butoir et intérêts liés à des prêts notionnels
45 – Par une décision min. c/ BNP Paribas du 10 décembre 2021 53, mentionnée aux tables du Lebon, le Conseil d’État se prononce sur les modalités d’application de la règle du butoir aux intérêts perçus de sa succursale chinoise par une banque française. La décision est éclairante sur cet aspect, qui met en lumière la méthode d’interprétation des dispositions des conventions fiscales employée par le juge. Au- delà de l’aspect technique lié aux modalités d’application de la règle du butoir dans un contexte conventionnel franco-chinois spécifique eu égard à la rédaction de la clause d’élimination de la double imposition des intérêts, la décision est importante en tant qu’y figure, pour la première fois de façon explicite, le principe de reconnaissance d’une relation juridique de prêteur à emprunteur génératrice d’intérêts entre le siège d’une banque française et sa succursale étrangère, nonobstant l’unicité de personne morale.
1° Détermination du montant de l’impôt français dû au titre des intérêts perçus : de l’influence de la diversité de rédaction des clauses relatives à l’élimination de la double imposition
a) Retour sur une saga judiciaire à rebondissements
46 – Les faits dans cette affaire sont d’une grande simplicité. La société de droit français BNP Paribas revendiquait l’imputation, sur ses cotisations d’impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2005, 2006 et 2007, de crédits d’impôt correspondant aux retenues à la source prélevées par la Chine, les Philippines, l’Inde, Singapour et la Thaïlande, sur des intérêts versés par des succursales situées dans ces États, en rémunération de prêts consentis par le siège français. À la suite d’une vérification de comptabilité, l’administration a remis en cause l’imputation des crédits d’impôt réalisée par la société. Elle a également rejeté la demande de la société d’imputation des crédits d’impôt au titre d’intérêts perçus de ses succursales de Chine et des Philippines, à laquelle elle avait omis de se livrer dans sa déclaration initiale, pour l’exercice 2007. S’en est suivie une saga judiciaire à re- bondissements, qui s’est cristallisée, dans un premier temps, sur la question de l’éligibilité même des sommes litigieuses au bénéfice de la protection conventionnelle, avant de ricocher sur la question des modalités d’application des dispositions conventionnelles relatives à l’élimination de la double imposition, objet de la décision ici chroniquée.
47 – L’éligibilité des intérêts aux dispositions conventionnelles relatives à l’élimination de la double imposition supposait que le juge se prononce sur l’interprétation à donner aux dispositions des conventions fiscales liant la France à chacun des États précités, relatives aux intérêts, toutes étant inspirées de la rédaction de l’article 11 du modèle OCDE, selon laquelle : « 1. Les intérêts provenant d’un État contractant et payés à un résident de l’autre État contractant sont imposables dans cet autre État. 2. Toutefois, ces intérêts sont aussi imposables dans l’État contractant d’où ils proviennent et selon la législation de cet État, mais si le bénéficiaire effectif des intérêts est un résident de l’autre État contractant, l’impôt ainsi établi ne peut excéder 10 % du montant brut des intérêts […]. 4. Le terme « intérêts » employé dans le présent article désigne les revenus de créances de toute nature, assorties ou non de garanties hypothécaires ou d’une clause de participation aux bénéfices du débiteur, et notamment les revenus des fonds publics et des obligations d’emprunts, y compris les primes et lots attachés à ces titres. […] 6. Les intérêts sont considérés comme provenant d’un État contractant lorsque le débiteur est un résident de cet État. Toutefois, lorsque le débiteur des intérêts, qu’il soit ou non un résident d’un État contractant, a dans un État contractant un établissement stable pour lequel la dette donnant lieu au paiement des intérêts a été contractée et qui supporte la charge de ces intérêts, ceux-ci sont considérés comme provenant de l’État où l’établissement stable est situé […] » 54.
La cour administrative d’appel de Versailles, dans une première décision en date du 13 décembre 2017, avait commencé par refuser à la société BNP Paribas le bénéfice de l’imputation des crédits d’impôt, au motif que la condition de source posée par les dispositions conventionnelles précitées n’était pas respectée 55. En effet, si elle avait accepté que le flux financier entre la succursale étrangère et le siège français puisse recevoir la qualification d’intérêts nonobstant l’uni- cité de personne morale, jugeant que « l’existence d’une relation juridique de prêteur à emprunteur génératrice d’intérêts ne saurait être exclue entre le siège d’une société de banque et ses succursales, alors qu’il est loisible au siège, nonobstant l’appartenance à une même personne morale, de financer ses succursales par des apports en capital ou par des prêts ; qu’ainsi, […] les sommes en litige présentent le caractère d’intérêts au sens des stipulations des conventions fiscales », elle avait néanmoins considéré, après avoir rappelé que les stipulations conventionnelles concernées ne s’appliquent qu’aux « intérêts provenant d’un État contractant », c’est-à-dire ceux dont le débiteur est résident d’un État contractant, ou ceux dont le débiteur, résident ou non d’un État contractant, possède dans un État contractant un établissement stable pour lequel la dette a été contractée et qui supporte la charge des intérêts, que (i) les succursales étrangères ne pouvaient être regardées, sur la base de la législation de leurs États d’implantation, comme des résidents des États, ni que (ii) ces succursales, « débitrices de ces intérêts », auraient dans un État contractant un établissement stable pour lequel la dette donnant lieu au paiement des intérêts aurait été contractée et qui supporterait la charge de ces intérêts. Dans ces conditions, les juges d’appel avaient considéré que la société BNP Paribas ne pouvait se prévaloir du crédit d’impôt prévu par les clauses relatives à l’élimination de la double imposition des intérêts, faute pour les paiements litigieux, de respecter la règle de source conventionnelle.
Le Conseil d’État, dans une première décision en date du 10 juillet 2019 56, a censuré l’arrêt de la cour de Versailles, en défendant une lecture à front renversé des dispositions conventionnelles relatives aux intérêts. La Haute Juridiction a en effet annulé la décision de la cour pour erreur de droit, au motif que la société BNP Paribas devait être regardée comme débitrice des intérêts versés par ses succursales, et que les juges du fond n’avaient pas recherché si elle avait en Chine, aux Philippines, en Inde, à Singapour et en Thaïlande, par leur intermédiaire, des établissements stables pour lesquels les dettes donnant lieu au paiement des intérêts avaient été contractées et qui supportaient la charge de ces intérêts, de sorte que ces intérêts devaient être considérés comme provenant de ces pays. Le renvoi vers la cour de Versailles fut donc décidé par la Haute Assemblée, donnant naissance au second volet du débat suscité par ce contentieux.
48 – Dans sa décision sur renvoi rendue le 16 décembre 2020 57, la cour de Versailles, ainsi guidée par le Conseil d’État, a pu valider (i) que les succursales étrangères de la banque française caractérisaient des établissements stables dans les pays d’implantation, et (ii) que les dettes litigieuses avaient été contractées pour les besoins de ces établissements, ce dont il ressortait, suivant les principes de raisonne- ment posés par la Haute Assemblée, que les paiements litigieux entraient dans le champ des dispositions conventionnelles et, à ce titre, devaient ouvrir droit au dispositif conventionnel d’élimination de la double imposition, consistant en l’octroi d’un crédit d’impôt en France correspondant à l’impôt prélevé dans l’État de la source. Mais c’est précisément sur la question du plafonnement du montant de ce crédit d’impôt que le débat va rebondir, à la faveur d’une demande de substitution de base légale formulée par l’administration, faisant application aux intérêts litigieux de la règle conventionnelle dite « du butoir », selon laquelle le crédit d’impôt ne peut excéder le montant de l’impôt français « correspondant aux revenus », et imposant donc, selon l’administration, que l’assiette d’imputation des crédits tienne compte de l’ensemble des charges justifiées et directement liées aux opérations de prêt conclues entre la société et ses succursales.
Sur ce point, la cour a repris la solution posée par le Conseil d’État dans sa décision min. c/ Sté Crédit industriel et commercial du 7 décembre 2015 58 – qui concernait le montant du crédit d’impôt pour retenue à la source acquittée à l’étranger au titre de dividendes de source étrangère, consistant à déterminer une base d’imputation du crédit d’impôt égale à l’impôt théorique qui aurait frappé les produits s’ils étaient la seule source de revenus, impliquant la déduction de toutes les charges afférentes à la production de ce revenu – en énonçant que : « Ce montant maximal doit, en l’absence de toute stipulation contraire dans les conventions fiscales, être déterminé en appli- quant aux intérêts, l’ensemble des dispositions du Code général des impôts relatives à l’impôt sur les sociétés, dont celles de l’article 39, qui sont applicables en matière d’impôt sur les sociétés en vertu de l’article 209 et qui impliquent de déduire du montant brut des intérêts l’ensemble des charges justifiées directement liées aux opérations de prêts conclues entre la société BNP Paribas et ses succursales, sauf exclusion par des dispositions spécifiques » 59. Ces bases étant posées, la cour, sur le fondement d’une lecture (trop ?) littérale des différentes dispositions conventionnelles en jeu, a distingué le cas des intérêts de source chinoise du cas des intérêts de source singapourienne, philippine, indienne et thaïlandaise. En effet, la clause conventionnelle relative à l’élimination de la double imposition de la convention franco-chinoise 60 est rédigée de la sorte : « les revenus visés aux articles 9, 10, 11, 12, 15 et 16 [dont les intérêts visés à l’article 10] provenant de Chine sont imposables en France, conformément aux dispositions de ces articles, pour leur montant brut. Il est accordé aux résidents de France un crédit d’impôt français correspondant au montant de l’impôt chinois perçu sur ces revenus mais qui ne peut excéder le montant de l’impôt français afférent à ces revenus ». Les juges d’appel ont donc prononcé la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés résultant de la remise en cause des crédits d’impôt attachés aux intérêts en provenance de Chine. En revanche, les arguments de l’administration ont été favorablement accueillis s’agissant des intérêts en provenance des quatre autres juridictions, compte tenu de la différence de rédaction des clauses relatives à l’élimination de la double imposition : « Les modalités de plafonnement et de calcul du crédit d’impôt respectivement fixées aux articles 24, 23, 25 et 23, des conventions franco-singapourienne, franco-philippine, franco-indienne et franco-thaïlandaise ne prévoient pas que les intérêts provenant de ces États sont imposables en France pour leur montant brut. Il y a donc lieu d’accueillir, pour les intérêts en cause, la demande de substitution de base légale du ministre […] » 61. Enfin, la cour a considéré que la preuve, incombant à la société, de ce que les crédits d’impôt correspondant aux revenus provenant des quatre autres juridictions avaient été calculés à partir d’une base égale à un montant d’intérêts net de charges, n’était pas apportée. En conséquence de ce qui précède, la cour a donc fait droit à la demande de la société par les articles 1er, 2 et 3 de sa décision ; à l’inverse, s’agissant de la mise en œuvre de la règle du butoir pour les quatre conventions autres que la convention franco-chinoise, elle a rejeté les demandes de la société.
Cette décision du 16 décembre 2020 est donc frappée, à son tour, d’un pourvoi en cassation, amenant le Conseil d’État à se prononcer une seconde fois sur cette affaire. L’administration considère en effet que la cour, en conférant une telle portée à l’expression « montant brut », utilisée à l’article 22 de la convention franco-chinoise, a com- mis une erreur de droit et se pourvoit en cassation contre les articles 1er, 2 et 3 de l’arrêt. La société, pour sa part, forme un pourvoi incident sur l’article 4 de l’arrêt. En effet, s’agissant des quatre autres conventions fiscales en cause, dont la mise en œuvre interrogeait les modalités d’application de la règle du butoir (par référence notamment à des règles de calcul du butoir spécifiques aux banques, fixées par la doc- trine administrative), la cour avait jugé, (i) concernant les cotisations primitives d’impôt sur les sociétés dont la requérante demandait la réduction, que celle-ci n’établissait pas que le montant du crédit d’impôt dont elle revendiquait l’imputation n’excéderait pas le butoir, et (ii) concernant les cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés dont la requérante demandait la décharge, qu’il ne résultait pas de l’instruction que les crédits d’impôt qu’elle avait imputés sur son impôt auraient été calculés à partir d’un montant d’intérêts net de charges et n’excéderaient pas le butoir, et avait donc rejeté les conclusions correspondantes de la société.
b) Montant « brut »… de l’impôt étranger ou de toutes charges ?
49 – La question de droit posée par cette affaire porte donc sur l’interprétation de l’expression « montant brut » utilisée par l’article 22 de la convention franco-chinoise, aux fins d’application de la règle du butoir. Celle-ci commande l’octroi d’un crédit d’impôt français correspondant au montant de l’impôt chinois perçu sur les revenus mais qui ne peut excéder « le montant de l’impôt français afférent à ces revenus ». À cette fin, il y a lieu, de façon générale, de déterminer un impôt français théorique dont l’assiette procède d’un « mini-compte de résultat » faisant apparaître en produits les intérêts, et en charges l’ensemble des charges y attachées, suivant la logique issue du précédent Sté Crédit industriel et commercial, cet impôt théorique constituant lui-même la base d’imputation du crédit d’impôt (c’est par le jeu de cette fiction que l’on reconstitue l’impôt national afférent auxdits revenus).
Cela étant rappelé, l’expression de « montant brut » peut recevoir deux acceptions. Dans une interprétation strictement littérale, la notion de revenu brut peut être lue comme affectant la détermination même de l’assiette de l’impôt français afférent aux intérêts, et servant de base d’imputation au crédit d’impôt : d’une telle lecture découle la neutralisation de l’application des règles de l’article 39 du CGI dans le « mini-compte de résultat », emportant donc la non-prise en compte des charges se rapportant à la perception des intérêts, avec pour effet, en l’espèce, une maximisation de l’impôt français y afférent, et donc de l’assiette d’imputation du crédit d’impôt correspondant à l’impôt chinois. Dans une interprétation plus constructive, prenant en compte la logique rédactionnelle et l’objet des dispositions de l’article 22 du traité franco-chinois, la notion de « montant brut » peut être lue comme se rapportant uniquement à une logique de calcul « en dehors », consistant à intégrer, parmi les produits imposables, dans le cadre du « mini-compte de résultat », l’intérêt net augmenté de l’impôt étranger, mais sans que cela affecte le volet « charges déductibles » de l’assiette. Les juges d’appel avaient retenu la première interprétation.
50 – Dans sa décision du 10 décembre 2021, le Conseil d’État va censurer le raisonnement de la cour de Versailles, faisant prévaloir la seconde interprétation précitée des stipulations conventionnelles litigieuses, dans les termes suivants : « Les stipulations citées au point 2 prévoient, pour l’élimination de la double imposition née de la possibilité reconnue concurremment à la France et à la Chine de taxer les intérêts de source chinoise perçus par une entreprise établie en France, que cette entreprise est imposable en France sur ces revenus, retenus pour leur montant brut, c’est-à-dire incluant le montant de l’impôt chinois tel que défini au c de l’article 22, mais qu’elle bénéficie d’un crédit d’impôt imputable sur l’impôt sur les sociétés dû en France, égal au montant de cet impôt chinois, dans la limite du montant de l’impôt français dû à raison de ces revenus. En l’absence de toute stipulation contraire dans la convention conclue le 30 mai 1984 entre la France et la Chine, le mon- tant de l’impôt français dû à raison de ces revenus doit être déterminé en appliquant au montant brut de ces intérêts, c’est-à-dire incluant le mon- tant de l’impôt chinois, l’ensemble des dispositions du Code général des impôts relatives à l’impôt sur les sociétés. Par suite, en application de l’article 39 de ce code, il y a lieu, pour déterminer le montant de l’impôt français dû à raison de ces revenus, de déduire de ce montant brut l’en- semble des charges, exception faite de l’impôt chinois, qui sont directe- ment liées à l’acquisition de ces intérêts et n’ont pas pour contrepartie un accroissement de l’actif, sauf exclusion par des dispositions spécifiques. Il résulte de ce qui précède qu’en jugeant, pour écarter l’argumentation soulevée par le ministre de l’économie, des finances et de la relance tirée de ce que la règle dite « du butoir » faisait obstacle aux prétentions de la société BNP Paribas, que les stipulations de la convention conclue le 30 mai 1984 entre la France et la Chine prévoyaient de ne pas tenir compte, pour déterminer le montant de l’impôt français dû à raison des intérêts de source chinoise, qui limite le montant imputable du crédit d’impôt dont dispose le contribuable à raison de l’imposition chinoise de ces revenus, des charges exposées pour leur acquisition, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit » 62. On notera que, s’agissant des demandes de la société ayant trait au calcul du crédit d’impôt, le Conseil d’État fait une réponse différenciée, en fonction du régime de preuve applicable : (i) s’agissant de la demande de réduction des cotisations d’impôt primitives, la Haute Assemblée considère que la société n’établit pas qu’elle aurait droit à un crédit d’impôt ; (ii) s’agissant de la demande de décharge des cotisations supplémentaires d’impôt, pour laquelle s’applique un régime de preuve objective, la Haute Assemblée, renvoyant dos à dos l’administration et la société sur le terrain probatoire, ordonne un supplément d’instruction.
51 – Le Conseil d’État opte donc pour une interprétation des dis- positions conventionnelles intégrant des considérations téléologiques, qui apparaît fondée (et sans doute en parfaite conformité avec la logique interne de la clause conventionnelle litigieuse), même si, selon nous, la lecture strictement littérale, telle que défendue par la cour, aurait pu être approuvée. En effet, aucun précédent n’était à notre sens directement mobilisable, même si le Conseil d’État avait déjà eu, dans une période récente, à entendre des dispositions de l’article 22 de la convention franco-chinoise, dans une affaire min. c/ SA Natixis jugée le 20 novembre 2017 63, et dans une affaire min. c/ Sté LVMH, jugée le 7 juin 2017 64. Dans la première affaire, était en jeu la mise en œuvre du crédit d’impôt forfaitaire dans le cadre franco- chinois, la société française récipiendaire des intérêts de source chinoise n’ayant fait l’objet d’aucune imposition en Chine. Se posait donc la question, dans ce cas très particulier, du mode de calcul du crédit d’impôt : fallait-il calculer le crédit d’impôt correspondant à 10 % du montant brut des intérêts sur une base brute « reconstituée » (et tenant compte de l’impôt réputé prélevé), ou sur une base correspondant au net versé (en l’absence de prélèvement effectif, le montant brut ne pouvant qu’être égal au montant net). Le Conseil d’État avait jugé que « les résidents de France ayant reçu des intérêts de source chinoise bénéficient, lors de leur imposition en France, d’un crédit d’impôt égal au montant de l’impôt chinois perçu sur ces revenus, lequel est fixé forfaitairement à 10 % du montant brut des intérêts perçus. En jugeant que ce crédit d’impôt doit être déterminé à partir d’un montant brut des revenus reconstitué par ajout aux intérêts versés de l’impôt chinois réputé acquitté, la cour n’a pas commis une erreur de droit » 65. S’il s’évince de cette décision un principe de validation du calcul « en dehors » du crédit d’impôt, y compris en présence d’un crédit d’impôt forfaitaire, ce qui constituait la singularité de cette espèce, il apparaît toutefois difficile d’en étendre la portée à la question de la détermination du « mini-compte de résultat » servant d’assiette à l’impôt théorique français permettant de déterminer le quantum du crédit d’impôt imputable en application de la règle du butoir.
Dans la seconde affaire, était en jeu la possibilité, pour une société française déficitaire percevant des revenus passifs de source étrangère, de déduire les impôts prélevés à l’étranger sur la base du droit interne, nonobstant l’interdiction de déduction posée par les dispositions conventionnelles, accordant un crédit d’impôt. Cette affaire faisait suite à l’arrêt Sté Céline du 12 mars 2014 66, par lequel la Haute Assemblée avait jugé qu’il appartient au juge, après avoir constaté que les impositions qu’une entreprise a supportées dans un autre État du fait des opérations qu’elle y a réalisées seraient normalement déductibles de son bénéfice imposable en France en vertu de la loi fiscale nationale, « de faire application, pour la détermination de l’assiette de l’impôt dû par cette entreprise, des stipulations claires d’une convention excluant la possibilité de déduire l’impôt acquitté dans cet autre État d’un bénéfice imposable en France ». Tout l’enjeu dans l’affaire Sté LVMH était donc de savoir si des stipulations conventionnelles, à l’instar de celles de l’article 22 de la convention franco-chinoise, pré- voyant l’imposition des revenus pour leur « montant brut », pouvaient être considérées comme suffisamment claires pour interdire la déduction des impôts étrangers du résultat imposable. Le Conseil d’État a fait une application – volontairement – restrictive de la théorie de l’acte clair, en énonçant que « les stipulations des conventions fiscales […] selon lesquelles les revenus provenant de Chine et de Nouvelle-Zélande sont imposables en France pour leur montant brut, n’excluent pas expressément qu’une société résidente de France déduise de son bénéfice imposable d’un exercice la retenue à la source supportée sur des redevances dans ces deux États au cours de ce même exercice dans le cas où cette société ne peut, en raison de sa situation déficitaire, imputer le crédit d’impôt conventionnel correspondant à l’impôt acquitté à l’étranger », laissant donc la possibilité aux sociétés résidentes de France de revendiquer la déduction en base des impôts étrangers. La question concernait donc la détermination de l’assiette de l’impôt de la société récipiendaire des revenus, et elle semblait principalement motivée par la volonté du Conseil d’État d’atténuer la sévérité de sa décision Sté Céline, dont il ressortait un phénomène d’aggravation de la situation du contribuable du fait de la présence d’une convention fiscale : de fait, il semble exister peu de différence entre la prescription de l’imposition d’un revenu pour son montant brut, c’est-à-dire prenant en compte positivement l’impôt étranger, et la prescription de l’interdiction de déduire l’impôt étranger. Ce précédent ne fournit donc pas de piste directement applicable à la question de la détermination du « mini-compte de résultat » aux fins d’application de la règle du butoir. Tout au plus nous aura-t-il appris que la rédaction conventionnelle renvoyant à l’imposition des intérêts pour leur « montant brut » n’est pas suffisamment claire pour en inférer un principe d’interdiction de déduction de l’impôt étranger.
52 – C’est donc sans réelle boussole que le Conseil d’État devait se prononcer dans cette affaire. Sans doute la recherche d’une interprétation unitaire de la clause a-t-elle favorisé le sens de la solution, la notion de montant brut circonscrite à une simple problématique de calcul « en dehors » étant susceptible d’irriguer l’article 22 dans toutes ses dimensions, à savoir (i) la détermination de l’assiette de la retenue à la source pratiquée par l’État de la source, (ii) le calcul du crédit d’impôt octroyé par l’État de la résidence en l’absence de prélèvement effectif à la source (logique min. c/ SA Natixis), et (iii) la détermination du « mini-compte de résultat » servant d’assiette à l’impôt français afférent aux revenus, permettant la fixation du quantum imputable de crédit d’impôt, conformément à la logique Sté Crédit industriel et commercial. Mais au-delà de cette considération, certes non négligeable, l’application de la notion de montant brut, envisagée comme s’opposant à la déduction des charges autres que l’impôt étranger, à la faveur d’une interprétation « bêtement » littérale, était techniquement possible, ce d’autant plus que l’on sait, depuis la décision Sté BNP Paribas du Conseil d’État du 12 juin 2013, que les dispositions conventionnelles peuvent remettre en cause la déductibilité d’une charge dont la déduction est autorisée en droit interne 67. On ajoutera que, dans ses conclusions sur l’affaire Sté LVMH précitée, Émilie Bokdam-Tognetti avait signalé qu’« en évoquant le montant « brut » des revenus, la convention ne vise pas expressément les seules charges correspondant à l’impôt étranger». L’exclusion des charges liées à la perception des intérêts de l’assiette de l’impôt français y afférent aux fins de détermination de la base d’imputation de l’impôt chinois pouvait fournir une illustration particulièrement adaptée d’une telle assertion. Une telle conception n’est même pas incompatible, nous semble-t-il, avec cette autre observation d’Émilie Bokdam-Tognetti, toujours dans ses conclusions sur l’affaire Sté LVMH, selon laquelle « la phrase prévoyant l’imposition des revenus pour leur montant brut ne fixe qu’une règle d’assiette préalable au calcul du crédit d’impôt imputable, dans le cadre d’une méthode d’élimination de la double imposition par imputation d’un tel crédit, plutôt qu’une règle de non-déductibilité de l’impôt étranger qui s’imposerait en toute hypothèse ». Toutefois, un élément paraît important. Dans l’affaire Sté BNP Paribas du 12 juin 2013, l’interdiction de déduction d’une provision pour dépréciation de titres de participation dans une société canadienne, remplissant les conditions de déduction en droit interne, avait découlé de l’application combinée des dispositions de la convention franco-canadienne relatives à la répartition du droit d’imposer les cessions de participations substantielles et des clauses d’élimination de la double imposition, reposant, au cas particulier, sur la méthode de l’exonération. Il s’ensuit que les clauses relatives à l’élimination de la double imposition ont une portée qui va au-delà du seul traitement de la double imposition juridique. Dans ces conditions, il était sans doute difficile au juge de l’impôt de dé- fendre la conception strictement littérale de la notion de « montant brut » pour la seule application de la règle du butoir, sans risque de débordement sur les règles de détermination de l’assiette de l’impôt elles-mêmes, dont il serait ressorti une interdiction de déduction de la base imposable dans les conditions de droit commun des charges afférentes aux intérêts perçus. Un principe de distinction entre les règles applicables au compte de résultat et celles applicables au « mini-compte de résultat » servant d’assiette à la base d’imputation du crédit d’impôt n’aurait sans doute pas trouvé de fondement, en regard du précédent de 2013. Et le sens retenu de l’expression « montant brut », renvoyant à un calcul « en dehors » permet à cet égard, l’unité de la règle de droit. C’est dans cette mesure que la solution préconisée par la Haute Assemblée doit, finalement, être approuvée.
2° La reconnaissance explicite d’un prêt notionnel entre un siège et sa succursale bancaire : un pas de plus vers l’autonomisation de l’établissement stable
53 – Enfin, ce débat technique sur les modalités d’application de la règle du butoir ne doit pas masquer l’élément essentiel de cette décision et de la saga jurisprudentielle dans laquelle elle s’inscrit, à savoir la reconnaissance des prêts notionnels entre une banque française et sa succursale étrangère. Alors que dans son premier arrêt du 19 juillet 2019, le Conseil d’État n’avait pas eu à se prononcer expressément sur la qualification d’intérêts du flux financier litigieux (ce point ne faisant plus l’objet de débats en cassation, l’administration fiscale ayant admis une telle qualification) – même s’il l’avait nécessairement acceptée de façon implicite – il va, dans cette décision du 10 décembre 2021, énoncer explicitement que « l’existence d’une relation juridique de prêteur à emprunteur génératrice d’intérêts ne saurait être exclue entre le siège d’une société de banque et ses succursales, alors qu’il est loisible au siège, nonobstant l’appartenance à une même personne morale, de financer ses succursales par des apports en capital ou par des prêts » 68. La solution est certes cantonnée aux succursales bancaires, qui ont toujours joui d’une exception à l’interdiction de reconnaissance des prêts notionnels, eu égard aux particularités du secteur. Néanmoins, le Conseil d’État avait déjà évolué, avec une décision Sté Sodirep Textiles SA-NV rendue le 9 novembre 2015, qui ne concernait pas un établissement de crédit 69. Dans cette affaire, l’administration fiscale avait rehaussé, sur le fondement de l’article 57 du CGI, le résultat de la succursale française d’une société de droit belge, à raison des intérêts qui n’avaient pas été « facturés » au siège, en contrepartie de la « comptabilisation » d’avances de trésorerie consenties à ce dernier. Le Conseil d’État avait donné gain de cause à l’administration, estimant « que, d’une part, [les dispositions de l’article 57 du CGI] sont applicables à toute entreprise imposable en France, y compris une succursale française d’une société dont le siège est à l’étranger, sans qu’y fasse obstacle la circonstance que la succursale n’a pas de personnalité morale ; que d’autre part, les avantages consentis par une entreprise imposable en France au profit d’une entreprise située hors de France sous la forme de l’octroi de prêts sans intérêt constitue l’un des moyens de transfert indirect de bénéfices à l’étranger » 70. La reconnaissance du prêt notionnel entre l’établissement et le siège trouvait donc ici sa source dans le dispositif de l’article 57 du CGI. Autant d’évolutions du droit fiscal positif français à mettre en perspective avec l’approche autorisée de l’OCDE, consignée dans le modèle de convention adopté le 22 juillet 2010 71. La voie vers la reconnaissance d’un statut de « tiers fiscal » de l’établissement stable, produisant tous ses effets fiscaux, au-delà du seul secteur bancaire, est largement ouverte.
B. – L’imputation possible de l’impôt étranger sur l’imposition due en France à raison de la quote-part de frais et charges de 12 % sur les plus-values à long terme de cession de titres de participation en présence d’une clause de participation substantielle
54 – Par une très intéressante décision Sté L’Air Liquide du 15 novembre 2021, publiée aux tables du Lebon, le Conseil d’État a consacré l’illégalité de la doctrine administrative énonçant que les plus-values à long terme sur cession de titres de participation étant exonérées d’impôt, aucune imputation d’un impôt étranger acquitté au titre de la plus-value ne peut être effectuée, peu important la réintégration d’une quote-part de frais et charges de 12 % 72. La décision va donc permettre, dans un contexte conventionnel prévoyant une clause de participation substantielle, l’imputation, sur l’imposition due en France par la société cédante au titre de la quote-part de frais et charges, de l’impôt prélevé à l’étranger. Mais au-delà de ces effets directs, il nous semble que les éclaircissements qu’elle apporte sur la véritable nature de la quote-part de frais et charges risquent d’ouvrir de nombreux débats, dépassant le cadre du litige.
1° La véritable nature de la quote-part de frais et charges de 12 % révélée
55 – Dans cette affaire, la société L’Air Liquide demande au Conseil d’État d’annuler pour excès de pouvoir la décision implicite du ministre par laquelle il a refusé de procéder à l’abrogation des paragraphes 180 et 190 des commentaires administratifs publiés le 3 février 2016 au BOFiP sous la référence BOI-IS-BASE-20-20-10- 20, concernant la combinaison du régime d’exonération des plus- values à long terme de cessions de titres de participation avec le régime d’imputation des crédits d’impôts étrangers. Pour rappel, dans les conventions fiscales suivant le MC OCDE, l’imposition des plus-values sur cession de titres est attribuée exclusivement à l’État de la résidence de la société cédante. Toutefois, certaines conventions fiscales signées par la France diffèrent de ce modèle, et prévoient, en présence d’une participation substantielle dans une autre société (le seuil retenu est souvent fixé à 25 %), une imposition conjointe entre l’État de résidence de la société cédante et celui de la société cédée, la double imposition étant éliminée au moyen de l’imputation, par la société cédante, sur l’impôt dû dans son État à raison de la plus-value, d’un crédit d’impôt correspondant à l’impôt prélevé à l’étranger. Dans ce cas, naturellement, la règle du butoir s’applique : le crédit d’impôt octroyé ne peut excéder, selon la formule conventionnelle classique, «le montant de l’impôt français correspondant à ces revenus ». Ce type de clause permet à la France, lorsqu’elle est l’État de résidence de la société dont les titres sont cédés, de préserver la taxation des plus-values des non-résidents permise par les dispositions de l’article 244 bis B du CGI. Lorsque la France est l’État de résidence de la société cédante, la question de l’octroi d’un crédit d’impôt égal à l’impôt français correspondant aux revenus renvoie à la question de l’existence même d’un tel impôt lorsque la cession bénéficie des dis- positions de l’article 219, I a quinquies du CGI, prévoyant l’exonération de la plus-value réalisée, sous réserve de la réintégration d’une quote-part de frais et charges de 12 %. À cette question, la doctrine administrative, au paragraphe 180 des commentaires précités, apporte la réponse suivante : « Les plus-values à long terme mentionnées au a quinquies du I de l’article 219 du CGI sont imposées au taux de 0 % et donc exonérées. En conséquence, en l’absence d’imposition effective de la plus-value réalisée, aucune imputation de l’impôt étranger éventuellement acquitté au titre de la plus-value réalisée ne peut être effectuée dès lors qu’aucune double imposition ne peut être constatée. À cet égard, la réintégration d’une quote-part de frais et charges est sans incidence puis- qu’elle correspond à un mode forfaitaire de neutralisation des charges liées aux titres dont la plus-value est exonérée. Le montant de l’impôt acquitté à l’étranger est considéré en revanche comme l’un des frais inhérents à la cession. À ce titre, il doit être pris en compte pour le calcul de la plus-value nette taxable à 0 % et être extourné du résultat imposable. La quote-part de frais et charges est calculée sur la même plus-value nette », tandis qu’elle illustre ce principe par un exemple au paragraphe 190. C’est précisément l’abrogation de ces deux paragraphes que de- mande la société requérante, estimant que la quote-part de frais et charges constitue, en réalité, le maintien d’une imposition à l’IS des plus-values de cession de titres, et que par conséquent, l’imputation d’un crédit d’impôt conformément aux dispositions des conventions fiscales comportant une clause de participation substantielle, ne peut être écartée.
56 – La question de droit posée ici renvoie donc à la nature même de la quote-part de frais et charges prévue par les dispositions du a quinquies du I de l’article 219 du CGI : reflète-t-elle, comme le sou- tient la société, le maintien d’une forme d’imposition à taux réduit des plus-values de cession de titres de participation, ou bien, comme le soutient l’administration, relève-t-elle d’une logique de forfaitisation de frais liés à un gain exonéré, appelant nécessairement, par un principe de symétrie, une neutralisation de la déduction ? Dans la première hypothèse, l’imposition à l’IS de la quote-part de frais et charges fournit le montant de « l’impôt français correspondant » à la plus-value au sens des stipulations conventionnelles, et ouvre l’accès à l’imputation du crédit d’impôt. Dans la seconde hypothèse, la réintégration de la quote-part de frais et charges signifie simplement que la plus-value exonérée est uniquement une plus-value nette des frais et charges qui lui sont liés, ce qui ne modifie pas le caractère d’exonération : faute de base imposable, le montant de l’impôt français est nul, et partant, faute d’impôt français servant de base d’imputation, le montant du crédit d’impôt imputable est nul également.
La Haute Assemblée, suivant les conclusions de Karin Ciavaldini, va trancher en faveur de la première hypothèse, au point 3 de sa décision, dans les termes suivants : « Compte tenu du mode de détermination des sommes que la société cédante doit réintégrer dans son bénéfice en application du deuxième alinéa du a quinquies du I de l’article 219 du Code général des impôts précité et du pourcentage de 12 % qu’elles fixent, les dispositions citées au point 2 doivent être regardées non pas comme ayant pour objet de neutraliser de manière forfaitaire la déduction de frais exposés pour l’acquisition ou la conservation d’un revenu afférent à une opération exonérée, mais comme visant à soumettre à cet impôt, à un taux réduit, les plus-values de cession de titres de participation ». Il en ressort, pour le Conseil d’État, que les commentaires administratifs attaqués méconnaissent la portée de la combinaison des dispositions législatives et des stipulations conventionnelles qu’ils ont pour objet d’éclairer .
57 – On s’interrogera tout à la fois sur les fondements de cette décision, sur lesquels les conclusions de Karin Ciavaldini apportent de précieux éclairages, mais aussi sur sa portée, dont nous pensons qu’elle est susceptible de dépasser le simple débat sur l’existence d’une base d’imputation d’un crédit d’impôt étranger en présence d’une clause conventionnelle de participation substantielle.
58 – Il y a lieu, avant tout, de comprendre les raisons qui ont conduit la Haute Juridiction à considérer que la quote-part de frais et charges de 12 % sur les plus-values de cession de titres était, en réalité, mal nommée, et qu’il était nécessaire, comme l’y invitait la rapporteure publique, de dépasser une telle qualification. Le Conseil d’État s’était déjà penché sur la question de la nature intrinsèque d’une quote-part de frais et charges, dans une décision Sté Fournier Indus- trie et Santé en date du 23 avril 1997 74. Il s’agissait en l’espèce de la quote-part de frais et charges de 5 % de l’article 216 du CGI (dans sa rédaction applicable avant le 1er janvier 1993), dont il était demandé si elle pouvait servir de base d’imputation à l’avoir fiscal en vigueur à l’époque des faits. La Haute Assemblée avait validé le raisonnement des juges du fond qui avaient rejeté la demande de la société requérante d’imputer l’avoir fiscal sur l’impôt dû à raison de la quote-part de frais et charges, en jugeant que « pour rejeter cette prétention, la cour administrative d’appel s’est fondée sur ce que la défalcation prévue par l’article 216 avait pour objet « d’annuler », forfaitairement, la déduction de frais comptabilisés parmi l’ensemble des charges d’exploitation de la société mère, mais afférents à l’acquisition de produits soustraits à l’impôt, et non de laisser soumise à l’impôt sur les sociétés, en tant que telle, une fraction de revenus distribués incluant un crédit d’impôt imputable ; qu’en statuant ainsi, la cour a fait une exacte application des dispositions précitées des articles 209 bis et 216 du CGI ». Karin Ciavaldini, dans ses conclusions, mobilise ce précédent pour mieux distinguer la quote-part de frais et charges du régime mère-fille et celle relative aux plus-values à long terme : les dispositions du II de l’article 216 du CGI (dans leur version applicable à l’époque des faits de l’affaire Sté Fournier Industrie et Santé) prévoyaient que la quote- part ne pouvait excéder, pour chaque période d’imposition, le mon- tant total des frais et charges de toute nature, exposés par la société. Il existait donc un lien, dans le texte d’origine du régime mère-fille, entre la quote-part et les frais et charges exposés, qui n’a jamais existé dans le régime du a quinquies du I de l’article 219, puisque la quote- part de frais et charges prévue par ce texte n’a jamais été plafonnée aux frais réels. La remarque doit selon nous être tempérée par le fait que l’instauration, à la faveur de la loi de finances rectificative pour 2004 , d’une quote-part de frais et charges à raison des plus-values de cession de titres, fixée à l’origine à 5 %, était étroitement liée au régime mère-fille. Cette mesure, connue sous l’appellation de « niche Copé », visait, à l’époque, à renforcer la compétitivité de la France, par un alignement sur les régimes applicables chez ses concurrents européens : si auparavant, ce type d’exonération était l’apanage du Luxembourg et des Pays-Bas, tous les grands pays d’Europe – Belgique, Allemagne, Espagne, Danemark, Royaume-Uni, Italie – s’étaient en effet ralliés au principe de l’exemption au cours des an- nées 1990 76. Et dans cette logique de création d’un environnement fiscal favorable à l’implantation de sociétés holdings, il y avait une cohérence dans l’application d’un même traitement fiscal à l’en- semble des produits perçus par ce type de structure, qu’il s’agisse de produits de participations ou de gains en capital réalisés à raison de la cession des participations. Mais force est d’admettre que ce lien originel s’est défait avec le temps, à la mesure des durcissements successifs apportés par le législateur au régime des plus-values à long terme, qu’il s’agisse, dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2011, du doublement du taux de la quote-part, de 5 % à 10 %, ou encore, dans le cadre de la loi de finances pour 2013, de l’augmentation du taux à 12 %, et de la modification de l’assiette de la quote-part, correspondant à la plus-value brute. Cette évolution traduit un effacement de la logique de neutralisation de frais et charges liés à un gain exonéré (il est vrai que le taux de 12 % de la plus-value brute n’apparaît pas corrélé à un niveau normal de frais engagés pour réaliser une plus- value), au profit d’une logique de taxation réduite des plus-values sur cessions de titres de participation, motivée, comme le souligne Karin Ciavaldini, qui a repris les débats parlementaires ayant précédé l’adoption des différentes mesures de durcissement, par une logique de rendement. L’augmentation du niveau de taxation se justifie d’au- tant moins, selon la rapporteure publique, que les frais et charges inhérents à la cession viennent en déduction du prix de cession retenu dans l’assiette de la quote-part de frais et charges : ils ne sont donc pas déduits du résultat imposable au taux normal en tant que frais généraux 77.
À ces éléments sur les modifications du traitement de la quote- part de frais et charges, révélant sa véritable nature ou à tout le moins d’une transsubstantiation de celle-ci au fil du temps, s’ajoutent des considérations plus techniques que Karin Ciavaldini convoque à l’appui de sa démonstration. Tout d’abord, l’administration admet, pour des raisons de conformité avec le droit de l’Union européenne, qu’en présence d’une cession de titres d’une société française par une société ayant son siège dans un État de l’Union européenne, ou dans un État partie à l’accord sur l’Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention comportant une clause d’assistance administrative, lorsque la convention prévoit l’imposition en France de la plus-value, la société cédante peut obtenir la restitution de la part du prélèvement résultant de l’application de l’article 244 bis B du CGI excédant l’impôt sur les sociétés dont elle aurait été redevable si elle avait été résidente de France 78. Or, aux fins de détermination du montant restituable, la doctrine administrative prévoit que « la société doit déterminer le montant théorique d’impôt sur les sociétés afférent à la plus-value à long terme déterminée selon les règles de cet impôt. À titre pratique, l’impôt théorique est calculé en appliquant au montant de la quote-part forfaitaire de la plus-value imposable (CGI, art. 219, a quinquies, al. 2) le taux normal de l’impôt sur les sociétés prévu au deuxième alinéa du I de l’article 219 du CGI. La restitution est égale à la différence entre le montant de l’imposition prévue à l’article 244 bis B du CGI et cet impôt théorique » 79. Il s’évince donc de ce passage, selon Karin Ciavaldini, que l’administration considère que la taxation de la quote-part de frais et charges correspond à une imposition effective de la société cédante à raison de la plus-value réalisée. Ensuite, la rapporteure publique considère que le précédent Sté Orange Participations du 14 juin 2017 80, par lequel le Conseil d’État a jugé que la réintégration de la quote-part de frais et charges de 12 % était subordonnée à la réalisation d’une plus-value nette au titre de l’exercice de cession, invalidant la doctrine administrative énonçant que « l’assiette de la quote-part de frais et charges étant assise sur le seul montant brut des plus-values de cession de titres éligibles au taux de 0 %, cette quote-part est prise en compte dans le résultat imposable au taux normal de l’impôt sur les sociétés, quel que soit le résultat net des plus ou moins-values de cession de titres éligibles » 81, ouvrait d’ores et déjà, à mots couverts, la voie à une reconnaissance de la quote-part de frais et charges en tant qu’instrument d’imposition minimale de la société cédante en cas de plus-value nette. Si la quote-part n’avait vocation qu’à neutraliser la déduction de charges liées à un revenu exonéré, la compensation avec les éventuelles moins-values n’avait pas lieu d’être, et il n’y aurait lieu de tenir compte que des seules plus-values.
On retiendra donc de tout ce qui précède que la conception de la quote-part de frais et charges finalement retenue dans la décision ici chroniquée se ressource principalement à la logique de rendement budgétaire qui a animé le législateur dans l’adoption des réformes successives depuis 2011. On signalera que, dans ses conclusions sous la décision Sté Vinci rendue par le Conseil d’État en date du 12 octobre 2018, Benoît Bonhert avait déjà émis, de façon incidente, certaines réserves quant à la subsistance d’un principe d’exonération des plus- values face aux évolutions du régime, dans ces termes : « À la suite des modifications introduites par le législateur en 2013, il est d’ailleurs per- mis de s’interroger sur la réalité de l’exonération […] : en effet, en portant le taux de la quote-part des frais et charges à 12 % du montant brut de la plus-value, le législateur a réintroduit ni plus ni moins une forme de taxation de celle-ci, à un taux de 4 % avec un taux d’impôt sur les sociétés de 33,1/3 %, appelé à diminuer avec la baisse » 82. On ajoutera qu’à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances pour 2012, les sénateurs avaient voté un amendement visant à substituer à la plus- value de cession le prix de cession des titres lui-même en tant qu’assiette de calcul de la quote-part. Le projet n’a pas abouti, mais il renseigne sur la conception que se fait le législateur de l’instrument de la quote-part de frais et charges, devenu une variable d’ajustement de la taxation des grandes entreprises françaises, plutôt qu’une mesure technique visant, selon un principe immuable en droit fiscal, à neutraliser la déduction de charges encourues en vue d’obtenir un produit exonéré.
2° Quels effets, directs et à venir ?
59 – Quels sont les effets de cette décision L’Air Liquide du 15 novembre 2021 ? De façon directe, et par principe, les sociétés réalisant des plus-values de cession de titres de participation dans un contexte conventionnel comprenant une clause de participation substantielle pourront à l’avenir imputer l’impôt prélevé à l’étranger sur l’impôt sur les sociétés dû en France à raison de la quote-part de frais et charges. Sont concernées les situations impliquant des filiales cédées en Espagne, Italie, Autriche, Japon, Suède, Corée, Brésil notamment. De même, les sociétés n’ayant pas procédé à une telle imputation au titre de la réalisation de plus-values passées peuvent déposer des réclamations en ce sens, sous réserve des délais applicables. Au- delà de ce principe, une question naît quant à la détermination de l’assiette de la quote-part de frais et charges dans ce nouvel état du droit, eu égard aux modalités de prise en compte de l’impôt étranger. En effet, les paragraphes 180 et 190 des commentaires administratifs du BOFiP portant la référence BOI-IS-BASE-20-20-10-20 devant être regardés comme abrogés, il s’ensuit que disparaît aussi de l’ordre juridique la précision administrative (figurant au second alinéa du paragraphe 180) selon laquelle le montant de l’impôt acquitté à l’étranger est considéré comme l’un des frais inhérents à la cession, devant être pris en compte, à ce titre, pour le calcul de la plus-value nette taxable à 0 % et être extourné du résultat imposable, la quote- part de frais et charges étant calculée sur la même plus-value nette. Dans ces conditions, la question est posée de l’effet concret de la disparition de cette doctrine opposable. Certes, dans le précédent Sté Vinci du 12 octobre 2018, la Haute Assemblée avait dit pour droit que « les frais inhérents à la cession des titres mentionnés à l’article 219 […] viennent en déduction du prix de cession pris en compte pour le calcul de la plus-value réalisée sur les titres vendus et ne constituent pas des frais généraux déductibles du résultat imposable au taux normal », confirmant, sous l’empire du régime d’imposition des plus-values à long terme prévoyant une taxation à taux zéro, assortie d’une quote-part de frais et charges, la pertinence du principe de distinction entre frais préparatoires et frais inhérents à une cession de titres, posé par sa décision SA Sofige du 21 juin 1995 83. Il pourrait être défendu que le principe ainsi posé demeure applicable, nonobstant l’abrogation des commentaires administratifs induite par la décision L’Air Liquide, dès lors qu’une fois le pouvoir taxateur réparti par le traité, chaque État, dont la France, demeure souverain quant aux modalités de détermination des revenus dont l’imposition lui a été conventionnelle- ment attribuée : à cet égard, le principe solidement ancré dans notre droit, depuis le précédent SA Sofige, de taxation d’une plus-value nette des frais inhérents à la cession, devrait demeurer, entraînant (i) l’extournement de l’impôt étranger du résultat imposable au taux normal, (ii) sa prise en compte en tant que charge venant en déduction du prix de cession aux fins de détermination de la plus-value exonérée et, corrélativement et nécessairement, (iii) sa participation à la détermination de l’assiette de la quote-part de frais et charges, qui ne peut qu’être la même plus-value nette 84. Toutefois, une telle ap- proche nous paraît faire litière de la portée des clauses conventionnelles relatives à l’élimination de la double imposition sur les règles d’assiette elles-mêmes, ainsi que rappelé plus haut 85. Surtout, l’absence de protection offerte par la doctrine administrative désormais invalidée nous paraît laisser toute sa place, dans ce type de situation, aux dispositions issues de la deuxième loi de finances rectificative pour 2017 86, et codifiées au 4° du 1 de l’article 39 du CGI, selon lesquelles ne sont plus déductibles les « impôts prélevés par un État ou territoire conformément aux stipulations d’une convention fiscale d’élimination des doubles impositions en matière d’impôts sur les revenus conclue par cet État ou territoire avec la France ». Destinées, à l’origine, à empêcher, suite à la séquence jurisprudentielle Sté Céline/Sté LVMH Moët Hennessy Louis Vuitton, les sociétés françaises déficitaires de déduire de leur résultat l’impôt étranger prélevé à la source à défaut de pouvoir l’imputer, ces dispositions pourraient, dans le nouveau paradigme issu de la décision L’Air Liquide, trouver une nouvelle application. Il devrait donc s’ensuivre, selon nous, que : (i) l’impôt étranger sera toujours extourné du résultat imposable au taux normal en tant qu’il participe des frais inhérents à la cession ; (ii) que la plus-value à long terme, dans ce type de configuration, sera désormais calculée sans déduction de l’impôt étranger ; et (iii) qu’en toute logique, la quote-part de frais et charges de 12 % sera assise sur le même montant de plus-value brute (de l’impôt étranger). Le produit obtenu par application du taux de droit commun de l’impôt à la quote-part de frais et charges constituera la base d’imposition de l’impôt prélevé à l’étranger à raison de la plus-value.
60 – La décision nous paraît aussi soulever de nombreuses autres questions, au-delà des situations mettant en jeu une clause conventionnelle de participation substantielle. Comme on sait, une moins- value nette à long terme au titre d’un exercice n’est pas déductible, puisque la plus-value nette à long terme est exonérée. De même, les provisions pour dépréciation de titres de participation ne sont pas déductibles, en tant qu’elles anticipent une moins-value à long terme qui n’est elle-même pas déductible. Mais cet équilibre est bouleversé dès lors que, comme nous l’enseigne la décision L’Air Liquide du 15 novembre 2021, l’application de la quote-part de frais et charges vise une imposition à un taux réduit des plus-values à long terme. La question semble donc posée, dans son principe, de l’imputation de moins-values nettes à long terme antérieures sur la quote-part de frais et charges afférente à une plus-value à long terme d’un exercice, et de la déduction, dans la limite de cette dernière, des provisions pour dépréciation de titres de participation, toutes questions appelant l’intervention du législateur.
61 – Dans un autre registre, cette nouvelle conception du régime fiscal applicable aux plus-values à long terme pourrait avoir des effets néfastes en matière d’application des règles françaises sur les sociétés étrangères contrôlées. Le dispositif de l’article 209 B du CGI s’applique si l’administration fiscale démontre, au titre d’un exercice donné, que l’entité étrangère est effectivement soumise à une charge fiscale sur ses bénéfices ou ses revenus inférieure de 40 % ou plus à la charge fiscale qu’elle supporterait dans les conditions de droit commun, au titre des mêmes bénéfices ou revenus, si elle était établie en France, conformément aux dispositions de l’article 238 A. La ré- forme du régime fiscal des plus-values à long terme sur les cessions de titres de participation, applicable à compter du 1er janvier 2007 avait eu pour effet de faire sortir de l’orbite de l’article 209 B les régimes étrangers prévoyant une exonération des plus-values sur cession de titres. L’administration a ainsi précisé expressément qu’« un régime étranger prévoyant une exonération équivalente de ce type de plus- values sera réputé ne pas constituer à lui seul un régime fiscal privilégié pour les bénéfices ou revenus positifs acquis à compter du 1er janvier 2007 » 87. Cela justifie le fait que les passages consacrés aux holdings étrangères dans l’instruction du 17 avril 1998 sur l’article 209 B 88 aient disparu de la doctrine administrative avec l’instruction du 16 janvier 2007 commentant le nouveau régime 89. Mais maintenant qu’il semble acquis que l’imposition de la quote-part de frais et charges de 12 % relève d’une logique d’assujettissement à l’impôt sur les sociétés à un taux réduit des plus-values à long terme, la question est ouverte de savoir si les régimes étrangers prévoyant une exonération des plus-values ne devraient pas réintégrer le champ du dispositif de l’article 209 B.
62 – Au-delà, il n’est pas interdit de considérer que la décision ici chroniquée peut inviter à s’interroger sur la question de la nature de la quote-part de frais et charges de 5 % sur les dividendes perçus dans le cadre du régime des sociétés mères et filiales. Rappelons que la solution dégagée dans le précédent Sté Fournier Industrie et Santé du 23 avril 1997 se ressourçait notamment au lien fixé par les textes entre la quote-part de frais et charges, et le montant des frais de gestion réellement engagés, que la quote-part de frais et charges ne pouvait excéder. Il n’est pas inutile de citer ici un extrait des conclusions de Guillaume Goulard sur cette affaire : « La société se pourvoit en cassation, mais vous devrez à notre sens confirmer l’analyse de la cour administrative d’appel. Car la quote-part de frais et charges que définissait l’article 216 du CGI n’était pas une fraction des revenus distribués qui, selon un raisonnement de type « ticket modérateur », aurait échappé au régime légal des sociétés mères. C’était seulement une application du principe selon lequel les charges qui concourent à la formation d’un produit non soumis à l’impôt sur les sociétés doivent être exclues des charges déductibles du bénéfice imposable. La seule particularité du régime prévu par l’article 216 était que les charges afférentes à la gestion des valeurs de participation étaient évaluées forfaitairement à 5 % des produits perçus par la société mère. Une claire confirmation de l’analyse que nous faisons ainsi de la quote-part de frais et charges figure au deuxième alinéa du II de l’article 216 alors en vigueur, puisque cet alinéa prévoyait que « Cette quote-part ne peut toutefois excéder, pour chaque période d’imposition, le montant total des frais et charges de toute nature exposés par la société participante au cours de ladite période » » 90. Mais, dès lors que le lien organique entre la quote-part de frais et charges de 5 % sur les dividendes et les frais de gestion réels a été rompu par les dispositions de la loi de finances pour 2011 91, la question se pose, à la lumière notamment du raisonnement tenu par Karin Ciavaldini dans ses conclusions sur cette affaire L’Air Liquide, de sa- voir si, finalement, et rétrospectivement, la réforme de l’époque ne caractérise pas une victoire de la logique de « ticket modérateur » sur celle de neutralisation des frais de gestion. On sait que, dans ses décisions Vicat et Vétoquinol du 5 mars 2018 92, le Conseil d’État, saisi d’une QPC dirigée contre le texte de l’article 216 du CGI dans sa rédaction issue de la loi de finances pour 2011, et fondée sur sa contrariété avec l’article 13 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen (pour les requérantes, l’imposition « forfaitaire », conduisant à taxer des revenus fictifs, était établie en méconnaissance des capacités contributives des contribuables), avait rappelé qu’« en prévoyant, à l’article 216 du CGI, la soumission à l’impôt sur les sociétés d’une quote-part des produits de participation perçus par une société mère, qui constituent des revenus dont elle a disposé, le législateur s’est borné à préciser la portée de l’exonération qu’il instituait sans soumettre à l’impôt, quel que soit le montant de cette quote-part et contrairement à ce qui est soutenu, des revenus fictifs» 93. On le voit, la décision du juge repose sur le postulat de l’exonération des dividendes perçus, dont le législateur de 2010 n’aurait fait que préciser la portée, tout en précisant explicitement, et de façon peut-être un peu paradoxale, que la quote- part de frais et charges fait l’objet d’une soumission à l’impôt sur les sociétés, assertion qui ne manquera pas d’être exploitée par les contribuables. Il en ressort, selon nous, que ces deux décisions de 2018 ne constituent pas un obstacle dirimant à la transposition à la quote-part de frais et charges sur les dividendes du raisonnement appliqué à la quote-part de frais et charges sur les plus-values. Le fait que le taux de la quote-part sur les dividendes n’ait pas subi d’augmentation au fil des ans, contrairement à celui sur les plus-values, affaiblit quelque peu les possibilités de transposition du raisonnement, dans la mesure où la motivation de rendement budgétaire est moins évidente, mais ne modifie pas pour autant fondamentalement l’analyse, dès lors que, d’un point de vue économique, il est assez évident qu’un forfait de 5 % du montant des dividendes perçus excède en général le niveau des frais de gestion réellement supportés, et qu’un tel choix n’a pu être dicté que par des considérations, là aussi, de rendement budgétaire. Dans le même sens, la réduction, en réponse à la décision Groupe Steria SCA de la Cour de justice en date du 2 septembre 2015 94, à 1 % du taux de la quote-part applicable en matière de distributions de dividendes à l’intérieur d’un groupe fiscal intégré (de même que, dans certaines conditions, en présence de distributions internationales faites par une société « intégrable »), tout autant d’ailleurs que l’instauration, telle que décidée par la loi de finances pour 2019, d’un taux de 1 % pour les distributions intragroupe n’ouvrant pas droit au régime des sociétés mères et filiales, qui étaient auparavant totale- ment neutralisées, toutes réformes motivées par la volonté de parfaire l’euro-compatibilité du dispositif de l’intégration fiscale, paraissent attester que l’instrument est inféodé à des logiques purement budgétaires : la compatibilité avec les libertés européennes pouvait être obtenue par une extension de la neutralisation totale des frottements fiscaux aux distributions européennes, et le choix du maintien d’une quote-part de frais et charges à un taux réduit n’a été motivé que par le souci de préserver des recettes fiscales face à l’ouverture aux distributions faites par des sociétés étrangères. En tout état de cause, la démarche même de modulation du taux applicable reflète bien l’idée que la quote-part de frais et charges de 5 % répond, au fond, à une autre logique qu’une simple neutralisation forfaitaire des frais de gestion, dans l’esprit du législateur. Mais alors se poserait une autre question, celle de la conformité du dispositif français avec la directive mère-fille elle-même, qui prévoit, au 1 de son article 4, que l’État membre de la société mère soit s’abstient d’imposer les dividendes, soit les impose, mais en autorisant la société mère à déduire du mon- tant de son impôt la fraction d’impôt sur les sociétés afférente aux dividendes et acquittée par la filiale distributrice, et au 3 de son article 4, que l’État membre garde la faculté de prévoir que des charges se rapportant à la participation ne sont pas déductibles du bénéfice imposable de la société mère, et que, si les frais de gestion se rapportant à la participation sont fixés forfaitairement, le montant forfaitaire ne peut excéder 5 % des bénéfices distribués par la société filiale.
Les conséquences d’une extension aux dividendes de la solution dégagée par la décision L’Air Liquide seraient massives, ouvrant droit à une réduction de l’impôt dû au titre de la quote-part de frais et charges par voie d’une imputation de la retenue prélevée par les États de source sur les dividendes 95. À n’en pas douter, cette décision du 15 novembre 2021 va alimenter les débats. Et le législateur pourrait être avisé de rétablir la possibilité, pour les sociétés mères, de se prévaloir des frais de gestion réellement exposés.
4. Caractérisation d’une entité étrangère aux fins d’application de la loi française : critères et limites de la méthode de l’« équivalence juridique »
63 – Dans une décision min. c/ World Investment Corporation en date du 2 avril 2021 96, le Conseil d’État a appliqué à une société en commandite de droit allemand la méthode d’assimilation qu’il avait portée sur les fonts baptismaux dans son importante décision de plénière fiscale Sté Artémis du 24 novembre 2014 97. Dans cet arrêt, la Haute Assemblée avait gravé dans le marbre d’un considérant de principe la méthode qu’il convient de suivre lorsqu’il s’agit d’appréhender une entité étrangère aux fins d’application de la loi fiscale française, dans les termes suivants : « il appartient au juge de l’impôt, saisi d’un litige portant sur le traitement fiscal d’une opération impliquant une société de droit étranger, d’identifier d’abord, au regard de l’ensemble des caractéristiques de cette société et du droit qui en régit la constitution et son fonctionnement, le type de société de droit français auquel la société de droit étranger est assimilable. […] compte tenu de ces constatations, il lui revient ensuite de déterminer le régime applicable à l’opération litigieuse au regard de la loi fiscale française » 98. Ainsi, il appartient au juge fiscal, sur la base d’un faisceau d’indices tirés du droit des sociétés étranger, de déterminer, par équivalence, à quel type de société l’entité étrangère est assimilable, et du coup, d’en déduire le régime fiscal qui lui est applicable. C’est ce que nous avions baptisé la « méthode de l’équivalence juridique » 99, et que Daniel Gutmann appelle le « test de ressemblance » 100. La décision du 2 avril 2021 ici chroniquée, mentionnée aux tables du Lebon, donne l’occasion de réfléchir à l’office du juge dans la mise en œuvre de la méthode de l’équivalence juridique en même temps qu’elle met en lumière les faiblesses intrinsèques de la méthode.
A. – L’office du juge dans la mise en œuvre de la méthode de l’équivalence juridique
64 – La société World Investment Corporation (WIC), créée en 1986 sous la forme d’une « corporation » de droit américain et immatriculée dans l’État du Delaware, a acquis au cours de la même année un bien immobilier situé à Paris. La société a cédé ce bien le 24 juin 2008, réalisant une plus-value calculée en faisant application des modalités fixées par les dispositions du III de l’article 244 bis A du CGI, relatives aux plus-values immobilières des personnes morales passibles de l’impôt sur les sociétés. En parallèle de la déclaration faite sur ces bases et de l’acquittement du prélèvement correspondant, la société a émis une réserve quant à l’application des modalités de calcul retenues, estimant qu’elle ne satisfaisait aucun des critères énoncés au 1 de l’article 206 du CGI, fixant le champ d’application ratione materiae de l’impôt sur les sociétés (incluant, d’une part, certaines per- sonnes morales limitativement énumérées correspondant, quel que soit leur objet, aux sociétés anonymes, aux sociétés en commandite par actions, aux sociétés à responsabilité limitée, aux sociétés coopératives et à certaines personnes publiques et, d’autre part, toutes autres personnes morales se livrant à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif). Elle sollicitait, en conséquence, que l’assiette du prélèvement soit calculée selon les modalités prévues au II de l’article 244 bis A, applicables aux plus-values immobilières réalisées par des contribuables assujettis à l’impôt sur le revenu. L’enjeu résidait dans l’application d’un régime plus avantageux pour les plus- values des particuliers (un abattement de 10 % par année de détention au-delà de la cinquième année) que pour les plus-values des sociétés relevant de l’impôt sur les sociétés (abattement annuel de 2 %). L’administration ayant rejeté la réclamation de la société, celle- ci a porté le débat devant le juge de l’impôt.
65 – Par une première décision en date du 17 novembre 2015, la cour administrative d’appel de Paris a confirmé l’imposition selon les règles applicables aux personnes morales passibles de l’impôt sur les sociétés, en se fondant exclusivement sur la clause-balai du 1 de l’article 206 du CGI, à savoir le caractère lucratif de l’activité de la société WIC 101. Le Conseil d’État, par une première décision en date du 16 mai 2018, a annulé cet arrêt, estimant que la cour, en jugeant que l’activité de la société (consistant uniquement en la mise à disposition à titre gratuit de l’immeuble au profit de parents de ses associés) présentait un caractère lucratif, avait inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis 102.
Amenée à statuer de nouveau sur renvoi, la cour de Paris a, cette fois, dans une décision rendue le 19 décembre 2018, donné gain de cause à la requérante, la déchargeant du prélèvement acquitté sur la plus-value de cession 103. Pour parvenir à ce résultat, la cour a rai- sonné en deux temps. Elle a tout d’abord écarté le caractère lucratif de l’activité de la société, ainsi qu’elle y avait été invitée par le Conseil d’État. Ensuite, elle a tenté de voir si la société pouvait être rapprochée d’une forme sociale française, sur la base de la méthode dégagée dans le précédent Sté Artémis (sans toutefois mentionner expressément le considérant de principe rappelé plus haut), pour conclure à l’absence d’assimilation possible, dans les termes suivants : « Considérant […] que la société requérante est une « corporation », société de droit américain, et a été enregistrée en 1985 dans l’État du Delaware ; que si les statuts de la société indiquent que l’objet social concerne toutes les activités permises par la loi, il ne résulte pas de l’instruction qu’elle ait été constituée pour une autre activité que la détention, à titre patrimonial, d’un bien immobilier ; qu’elle a été créée avec un faible capital social de départ et avec l’émission de titres répartis de façon égalitaire entre les membres d’une même famille ; que les titres sont nominatifs, les associés bénéficiant, en cas d’émission de nouvelles parts, d’un droit prioritaire de souscription ; que les dirigeants et les actionnaires sont responsables des dettes de la société ; que par suite, la société requérante ne saurait être assimilée à une société passible de l’impôt sur les sociétés en raison de sa forme sociale » 104. C’est contre cette décision que l’administration se pourvoit en cassation, critiquant la solution retenue sous l’angle de l’erreur de qualification juridique.
66 – Dans sa décision du 2 avril 2021, le Conseil d’État va casser l’arrêt de la cour de Paris, sanctionnant l’erreur commise par les juges d’appel sur l’un des critères retenus dans la mise en œuvre de la méthode de l’équivalence juridique. Il ressort en effet de la lecture des conclusions de Céline Guibé que la caractérisation de la responsabilité indéfinie des associés de la société par les juges du fond procédait vraisemblablement d’une traduction erronée des dispositions des paragraphes 325 et 326 du titre 8 du Code du Delaware présentée par la société. Celles-ci, contrairement à la traduction présentée, ne définissent pas l’étendue de la responsabilité des associés et dirigeants d’une « corporation », mais se bornent à préciser les modalités d’engagement de cette responsabilité, lorsqu’elle est prévue par d’autres dispositions du chapitre 1 du titre 8 du même code. Or, ces dispositions (paragraphe 102, b, point 6 de ce chapitre) posent le principe de l’absence de responsabilité des associés, sauf si l’acte constitutif de la « corporation » (appelé « certificate of incorporation ») en dispose autrement. En l’espèce, en l’absence de disposition dans le certificat de constitution visant la responsabilité des associés, ceux-ci n’étaient donc pas tenus des dettes de la société, sauf à raison de leurs agissements personnels. Après avoir rappelé 105 le considérant de principe issu du précédent Sté Artémis, c’est donc sur le fondement de la dénaturation que la Haute Juridiction va censurer la décision, dans ces termes : « Pour justifier son assimilation à une société de personnes régie par l’article 8 du CGI, la requérante avait affirmé devant les premiers juges que ses associés étaient tenus personnellement responsables des dettes sociales, même en l’absence de toute faute de gestion de leur part. Toutefois, il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que les dispositions du § 325 du sous-chapitre XIII du chapitre I du titre 8 du Code du Delaware relatif aux « corporations », dont la requérante se prévalait, ne fixent elles-mêmes aucune règle définissant l’étendue de la responsabilité financière des associés, tandis qu’il résulte du § 6 du b de la section 102 du sous-chapitre I du même chapitre, figurant également au dossier soumis au juge du fond, que, sauf mention contraire figurant dans le certificat de constitution (« certificate of incorporation »), les associés d’une « corporation » ne peuvent être tenus au paiement des dettes de la société en dehors de l’hypothèse où ils sont rendus responsables du fait de leurs agissements personnels. Or le certificat de constitution de la société World Investment Corporation, produit devant le juge du fond par la requérante, ne comportait aucune mention contraire. Par suite, en jugeant que les dirigeants et actionnaires étaient responsables des dettes de la société, la cour a dénaturé les faits dont elle était saisie » 106. Amenée à régler l’affaire au fond, s’agissant d’un second pourvoi en cassation, la Haute Assemblée va se livrer à l’exercice requis par la méthode de l’équivalence juridique, pour conclure finale- ment à l’assimilation de la société WIC à une société par actions simplifiée, dans les termes suivants : « Il résulte de l’instruction et notamment du certificat de constitution produit au dossier que la société World Investment Corporation, créée avec un capital de 10 000 dollars, a pour objet de réaliser toute activité conforme à la loi du Delaware. Les titres de la société sont librement négociables, sous réserve du droit prioritaire de souscription dont bénéficient les associés en cas d’émission de nouvelles parts. En outre, ainsi qu’il a été dit au point 5 ci-dessus, la responsabilité financière des associés est, sauf exception, limitée aux apports. Il ressort de l’ensemble de ces éléments que la société World Invest- ment Corporation est assimilable à une société par actions simplifiée de droit français et qu’elle est dès lors passible de l’impôt sur les sociétés à raison de sa forme sociale, en application du 1 de l’article 206 du CGI, sans qu’il soit besoin d’examiner le caractère lucratif de son activité » 107.
67 – Cette décision du 2 avril 2021 présente l’intérêt d’apporter des précisions sur les modalités d’application de la méthode de l’« équivalence juridique » posée par le Conseil d’État dans son importante décision Sté Artémis du 24 novembre 2014. Comme on sait, le principe de l’autonomie de la qualification (à des fins d’application de la loi fiscale) découle directement du principe de souveraineté fiscale : seules les qualifications de l’État, et non les qualifications issues d’une loi étrangère, peuvent recevoir des effets fiscaux. Tout raisonnement en termes de conflit de lois est banni en droit fiscal, « matière fondamentalement d’ordre public » 108. Emmanuelle Cortot-Boucher, dans ses éclairantes conclusions sur l’affaire Sté Artémis, pour s’opposer à l’argument de la société demandant que le juge français tienne compte de la loi fiscale américaine (établissant la transparence fiscale d’un « general partnership ») pour trancher le litige, a clairement marqué son objection dans ces termes : « Nous ne sommes pas de cet avis. Car le droit fiscal, qui a pour objet d’assujettir à l’impôt, procède d’une forme particulière d’exercice de la souveraineté. Il partage en effet cette caractéristique avec d’autres branches du droit public qu’il ne s’envisage pas indépendamment de l’existence de moyens de contrainte propres à en assurer l’application effective. C’est ainsi qu’il est illusoire pour un État de prétendre appliquer sa loi fiscale au-delà des limites de sa juridiction ; et c’est également la raison pour laquelle la loi nationale, étant la seule que l’État est susceptible de faire appliquer, est seule pertinente pour déterminer le montant des impositions qui sont réclamées aux contribuables » 109. Il s’ensuit que, sauf application d’une convention internationale ou disposition dérogatoire expresse de la loi fiscale nationale le prévoyant expressément, les lois fiscales étrangères ne peuvent recevoir une application directe par les juridictions nationales. Mais le droit étranger n’est pas pour autant évincé, du moins dans ses branches non fiscales. Au contraire, toujours selon Emmanuelle Cortot-Boucher, « Dans cette hypothèse, le droit étranger n’est pas appliqué comme une règle juridique contraignante mais plus comme un élément de fait qui va permettre au juge de l’impôt de caractériser une opération afin de la qualifier au vu de la loi fiscale nationale. Celui-ci pourra par exemple mobiliser des éléments relatifs au droit des sociétés, au droit des obligations ou encore au droit de la famille » 110. Du nécessaire respect de ce principe découle la méthode de l’« équivalence juridique » portée sur les fonts baptismaux par la décision Sté Artémis. Compte tenu de ce qui précède, dès lors que le droit étranger doit être considéré, dans la mise en œuvre de la méthode de l’« équivalence juridique », comme un élément de fait, l’erreur éventuellement commise par les juges du fond dans l’interprétation de la loi étrangère, laquelle relève de leur appréciation souveraine, com- mande une censure, au stade de la cassation, sur le terrain de la dénaturation des faits, comme cela a été le cas dans cette affaire.
On signalera que cette affaire ne donne toutefois pas au Conseil d’État l’occasion de se prononcer sur les obligations qui s’imposent au juge de l’impôt en matière d’identification des règles de droit étranger et de leur contenu, nécessaires à la résolution du litige. En l’espèce, dans sa décision rendue le 19 décembre 2018, la cour de Paris n’avait pas même cité les dispositions du code du Delaware sur les- quelles elle s’était fondée pour conclure à l’existence d’une responsabilité illimitée des associés d’une « corporation ». Dans ses conclusions, Céline Guibé a émis l’opinion qu’une telle omission « traduit une méconnaissance de leur office de la part des juges d’appel » 111. Toutefois, l’administration n’ayant soulevé aucun moyen tiré de la méconnaissance par la cour d’appel de son office ni de l’insuffisance de motivation de son arrêt, et de tels moyens n’étant pas d’ordre public, la question n’a pu être abordée 112.
B. – Les limites de la méthode de l’« équivalence juridique »
68 – Au-delà, cette décision du 2 avril 2021 met aussi en lumière les fragilités de la méthode de l’assimilation. Il est évident que la mise en œuvre de la méthodologie préconisée par le Conseil d’État dans le précédent Sté Artémis peut conduire le juge à forcer les catégories françaises pour y faire entrer les formes sociales étrangères. Cette limite, très générale, est consubstantielle au mécanisme de défense immunitaire de la souveraineté fiscale que constitue la méthode de l’« équivalence juridique », et se fera sentir tout particulièrement lorsque les entités étrangères ont été constituées sous l’empire de droits n’appartenant pas à la tradition civiliste, mais relevant de la common law, comme c’est le cas dans la présente affaire. Mais cette limite, en quelque sorte « externe », se double d’une limite interne, concernant la pertinence même des critères utilisés aux fins de rapprocher l’entité étrangère d’une forme sociale connue de notre droit et, à la suite de Florence Deboissy 113, on ne peut que s’interroger sur l’opérance réelle des critères convoqués pour procéder à l’assimilation. Dans la décision chroniquée, le Conseil d’État, reprenant les critères pris en compte par les juges du fond, a conclu à l’assimilation de la société du Delaware à une société par actions simplifiée, en regard (i) de la faiblesse du capital social ; (ii) de l’objet social ; (iii) de la libre « négociabilité » des titres, sous réserve d’un droit prioritaire de souscription en cas d’augmentation de capital ; et (iv) de la responsabilité limitée des associés. Au-delà d’une réserve sur l’utilisation du caractère négociable des titres, peut-être confondu avec leur caractère librement cessible et renseignant sur le caractère ouvert ou fermé de la « corporation », on ne peut que constater qu’en tout état de cause, seul le critère de l’étendue de la responsabilité apparaît ici véritablement décisif. Dans ses conclusions sur l’affaire Sté Artémis, Emmanuelle Cortot-Boucher avait déjà relevé la prééminence du critère, en précisant qu’« Il sera ainsi possible de tenir compte du point de savoir si l’identité des associés est ou non connue, et si la cession de parts que ceux-ci détiennent est libre ou non de tout accord préalable de leurs pairs. Surtout, il faudra rechercher si les associés sont ou non personnellement engagés dans la société et si, en cas de pertes réalisées par celle-ci, leur responsabilité est limitée ou non aux apports qu’ils ont bien voulu consentir » 114. Si l’on examine la jurisprudence récente du Conseil d’État, c’est d’ailleurs ce critère qui a joué un rôle prépondérant, pour la caractérisation, aux fins d’application de la loi fiscale française, tout à la fois d’une « sociedad de responsabilidad limitada » (SRL) de droit espagnol dans la décision min. c/ Pastor du 2 février 2015 115, et d’une « Kommanditgesellschaft » de droit allemand dans la décision min. c/ Sté Masterfoods Holding SAS du 8 novembre 2019 116, qui ont été respectivement assimilées à une société à responsabilité limitée et à une société en commandite simple de droit français. Et, à la lumière des relatives imperfections de la décision ici chroniquée, il n’est pas inutile de se demander si, au fond, la jurisprudence n’aurait pas intérêt, au nom de la clarté et de l’efficacité, à renoncer à la prise en compte de multiples critères destinés à rapprocher l’entité étrangère d’une des formes limitativement énumérées par les articles 206, 1 ou 8 du CGI – au prix, comme c’est ici le cas, d’une forme d’artifice – pour se concentrer uniquement sur le critère de l’étendue de la responsabilité des associés, seul à même de permettre, de façon indiscutable, le dé- versement des formes sociales étrangères dans la catégorie des sociétés de capitaux ou celle des sociétés de personnes, selon la summa divisio existant en droit des sociétés, transcrite en droit fiscal par l’opacité fiscale ou la translucidité. Le critère de la libre cessibilité des titres est certes pertinent pour isoler la forme hybride que constitue la SARL, mais n’a pas d’opérance directe en tant que telle dès lors que, comme les sociétés par actions, la SARL relève de l’impôt sur les sociétés. Encore faudra-t-il réserver, une fois cette première étape franchie, le cas d’une éventuelle assimilation de l’entité étrangère à une société française relevant de l’article 1655 ter du CGI, la seule relevant dans notre droit d’un régime de transparence fiscale totale, et pouvant le cas échéant s’appliquer à des formes sociales où la responsabilité des associés est limitée. Mais le test est facile, compte tenu de l’objet restreint des sociétés immobilières d’attribution.
Une dernière situation peut se présenter, concernant les entités étrangères dépourvues de personnalité morale, et pour lesquelles la démarche consistant à administrer le test de ressemblance à ce type d’entité demeure, selon nous, incertaine, dans son principe même. Certes, dans la décision min. c/ Sté Masterfoods Holding SAS du 8 novembre 2019 précitée, la Haute Assemblée a effectivement appliqué la méthode de l’équivalence juridique pour caractériser une société en commandite allemande, présentant la particularité tout à la fois d’être transparente fiscalement et dépourvue de la personnalité morale, pour traiter de la question du régime fiscal applicable en France aux sommes perçues par une société française au titre de sa participation en qualité de commanditaire à une « Kommanditgesellschaft » (KG). Elle a considéré que l’entité allemande était assimilable à une société en commandite simple de droit français, si bien que les sommes perçues avaient la nature de revenus mobiliers devant être pris en compte, dans les limites du régime mère- fille, dans son bénéfice imposable en France, sous réserve de l’application de la convention franco-allemande. Sur ce point, le Conseil d’État a jugé que la répartition effectuée au profit d’un associé commanditaire des bénéfices d’une KG transparente sur le plan fiscal, entrait dans le champ d’application du paragraphe 3 de l’article 4 du traité franco-germanique en tant que participation d’un associé dans une KG, et n’était imposable qu’en Allemagne lorsque la KG n’a aucune activité en France. Néanmoins, il n’est pas impossible de s’inter- roger sur la cohérence de cette décision avec la décision Sté Artémis, telle qu’éclairée par les conclusions d’Emmanuelle Cortot-Boucher, et la clarification qu’elle a apportée rétrospectivement sur la ratio decidendi du fameux précédent Diebold Courtage du 1999 117, à savoir la transparence juridique de la société en commandite néerlandaise : cette séquence jurisprudentielle pourrait en effet laisser penser que les entités étrangères dépourvues de la personnalité morale devraient échapper au test de ressemblance, et laisser la place à une logique d’oblitération de la société de personnes interposée, pour considérer que les revenus sont directement perçus ou réalisés, sans changement ni de leur nature ni de leur source, par les associés de l’entité étrangère. C’est si vrai que, dans la décision Diebold Courtage, l’application du test de ressemblance aurait dû conduire le juge à rapprocher la société en commandite hollandaise du statut de la commandite française et, dès lors, à rechercher quels étaient l’associé commanditaire et l’associé commandité, pour faire une application différenciée des dispositions de la convention franco-néerlandaise à la redevance de source française. De toute évidence, dans l’affaire min. c/ Sté Masterfoods Holding SAS, la question de la pertinence de l’administration du test de ressemblance à une société privée de personnalité juridique n’a jamais fait partie des débats. On signalera que le raisonnement « oblitérant » aurait d’ailleurs conduit, en l’espèce, à la même solution, par un circuit plus direct, fondé sur l’exploitation par la société française d’un établissement en Allemagne, dont les résultats ne relevaient donc pas de la juridiction fiscale française. La question n’a semble-t-il pas davantage été abordée dans l’affaire Sté Vorwerk Elektrowerke GmbH & Co. KG, jugée par le Conseil d’État le 27 novembre 2019, et soulevant la question de l’euro-compatibilité du prélèvement d’une retenue à la source en France sur des dividendes versés à une société en commandite allemande en situation de déficit 118. Le recours au raisonnement « oblitérant » serait sans doute une piste pertinente pour déterminer, conformément à la logique issue du précédent Sté Sofina du 27 février 2019 119, le niveau d’appréciation de la situation déficitaire, au niveau de la société ou de ses associés. Ces observations étant faites, une autre difficulté se fera jour : l’on n’ignore pas que certaines sociétés de droit français, à l’instar de la société en participation, sont dépourvues de la personnalité morale, et relèvent, pourtant, de l’article 8 du CGI… qui leur confère une personnalité fiscale. Y aurait-il donc lieu de poser une limite au raisonnement « oblitérant » en réservant le cas où l’entité étrangère pourrait être assimilée, en fonction de ses caractéristiques, à une société en participation ?
69 – On le voit, les difficultés posées par la méthode de l’« équivalence juridique » sont potentiellement sans fin. Les diverses apories auxquelles mène la méthode sont peut-être le signe qu’il y a lieu d’en changer. Par application de l’« équivalence juridique », la lex societatis n’est considérée qu’aux fins d’identifier l’existence des critères devant être pris en compte pour procéder à l’assimilation : c’est une forme de mécanisme immunitaire du système fiscal national face à la globalisation, qui lui permet d’accueillir des corps étrangers tout en préservant, par l’assimilation opérée, ses équilibres internes ; mais cette méthode implique inévitablement des effets attentatoires aux principes fondamentaux du droit fiscal international. De lege ferenda, une solution satisfaisante consisterait pour la France, certes à la faveur d’un infléchissement de souveraineté, à adopter la qualification fis- cale de l’entité étrangère telle qu’elle découle de la lex societatis (au sens fiscal). Cette solution est de bon sens. Non seulement les formes sociales diffèrent sensiblement d’un système juridique à un autre, et il y a lieu de « forcer » les catégories, mais encore ces entités peuvent- elles, à la faveur d’options fiscales prévues par le droit interne, changer de régime d’imposition. À ce titre, mieux vaudrait donc substituer à la méthode de l’« équivalence juridique » une méthode de la « qualification fiscale liée », consistant à adopter automatiquement la qualification fiscale attribuée à la société de personnes par l’État où elle est constituée, peu important ses caractéristiques juridiques. Techniquement, cette solution pourrait être prévue par exemple au sein des articles 8 et 206 du CGI. Une solution plus ambitieuse consisterait, comme cela avait été envisagé dans le cadre du projet initial de loi de finances rectificative pour 2010, à réformer en profondeur la fiscalité française des sociétés de personnes, et opter pour un système de transparence forte, mettant ainsi un terme à l’exception française en la matière. Une autre piste enfin pourrait consister à prévoir, au sein des traités fiscaux bilatéraux, une règle de conflit de qualification.
L’article 3 de la convention multilatérale, relatif aux entités transparentes, a d’ailleurs cette vocation, même si la France, a déclaré lors de la signature de l’accord à Paris, se réserver le droit de ne pas appliquer l’intégralité de l’article 3 aux conventions couvertes 120. Compte tenu de l’importance du recours aux partnerships dans les opérations internationales, spécialement de la part des agents économiques anglo- saxons, une avancée dans ce domaine permettrait tout à la fois de renforcer la sécurité juridique, mais aussi l’attractivité de la France.
- CE, 9e ch., 17 juin 2021, n° 433985, Sté Elie Saab France : RJF 2021, n° 907, concl. E. Bokdam–Tognetti C 907.
- CAA Paris, 5e ch., 27 juin 2019, n° 17PA02523.
- TA Paris, 28 mars 2017, n° 1519343.
- CE, 9e ch., 17 juin 2021, n° 433985, Sté Elie Saab France, pt 4.
- Ibid., pt 5.
- CE, 9e et 10e ch., 23 nov. 2020, n° 425577, min. c/ Sté Ferragamo France : JurisData n° 2020–019181 ; Dr. fisc. 2021, n° 13, comm. 198, concl. É. Bokdam–Tognetti ; RJF 2/2021, n° 116.
- Sur ce point, V. l’analyse du rapporteur public Emmanuel Glaser, concl. E. Glaser ss CE, 3e et 8e ss–sect., 7 nov. 2005, n° 266436 et 266438, min. c/ Sté Cap Gemini : JurisData n° 2005–080791 ; Dr. fisc. 2006, n° 14, comm. 311.
- CE, 8e et 3e ch., 4 oct. 2021, n° 443133 et 443130, SAS SKF Holding et SAS RKS : Dr. fisc. 2021, n° 50, comm. 460, concl. K. Ciavaldini, note V. Desoubries, R. Daguzan et M. Teissier. – V. aussi F. Fontaine et L. Brun d’Arre, Les arrêts SKF et RKS, ou du risque de perte traité par les prix de transfert : FR 46/2021.
- BOI–BIC–BASE–80–10–10, 18 févr. 2014, § 100.
- TA Montreuil, 23 avr. 2018, n° 1608787 et 1608939.
- CAA Versailles, 1re ch., 22 juin 2020, n° 18VE02848 et 18VE02849.
- CE, 8e et 3e ch., 4 oct. 2021, n° 443130, SAS RKS, préc., pt 5.
- Ibid., pt 6, 7 et 8.
- Ibid., pt 4.
- V. E. Dinh, Fiscalité internationale : chronique de l’année 2020 : Dr. fisc. 2021, n°
- CE, 8e et 3e ch., 16 juill. 2021, n° 433578 : Dr. fisc. 2021, n° 50, comm. 461, concl.
- CAA Versailles, 6e ch., 27 juin 2019, n° 17VE00546.
- CE, 8e et 3e ch., 4 nov. 2020, n° 436367, Aubert : JurisData n° 2020–017602 ; Lebon T., p. 671 ; Dr. fisc. 2021, n° 5, comm. 134, concl. K. Ciavaldini, note J.–L. Pierre ; RJF 1/2021, n° 2. – E. Dinh, Fiscalité internationale : chronique de l’année 2020 : Dr. fisc. 2021, n° 10, chron. 167.
- CE, 9e et 10e ss–sect., 20 mars 2013, n° 346642, Piazza : JurisData n° 2013–005593 ; Dr. fisc. 2013, n° 20, comm. 282, concl. F. Aladjidi, note Ch. de la Mardière ; Dr. fisc. 2013, n° 24, étude 324, note É. Fourel ; Dr. fisc. 2014, n° 10, chron. 197, E. Dinh ; Dr. sociétés 2013, comm. 149, note J.–L. Pierre ; REIDF 2015, n° 2, p. 320, note N. Gaoua et E. Joanna–Lardonta ; RJF 6/2013, n° 578 ; BGFE 2013, n° 3, p. 1, obs. É. Ginter.
- CE, 8e et 3e ch., 16 juill. 2021, n° 433578, préc., pt 4 et 5.
- CE, 8e et 3e ch., 12 oct. 2018, n° 414383 : Dr. fisc. 2020, n° 12, chron. 199, E. Dinh ; RJF 1/2019, n° 1, concl. B. Bohnert C 1 ; FI 1–2019, p. 207, note A. Iljic.
- CE, plén. fisc., 7 déc. 2015, n° 368227, min. c/ Sté Frutas y Hortalizas Murcia SL : Dr. fisc. 2016, n° 23, comm. 370, concl. F. Aladjidji, note A. Bonnet ; RJF 2/2016, n° 160, chron. N. Labrune, p. 129.
- V. CAA Lyon, 2e ch., 12 févr. 2019, n° 17LY03985 : JurisData n° 2019–012810 ; RJF 8–9/19, n° 815 – définitif.
- L. n° 2018–898, 23 oct. 2018 relative à la lutte contre la fraude fiscale.
- CE, 10e et 9e ch., 8 juin 2020, n° 418962 et 418963, Vuarnet : Dr. fisc. 2020, n° 41, comm. 401, concl. A. Iljic, note Ch. de la Mardière ; Dr. fisc. 2021, n° 10, chron. 167, E. Dinh ; JCP E 2020, 1406, P. Masquart ; RJF 2020, n° 757 ; FI 3–2020, p. 133, comm. A. Iljic ; IP 2020, n° 4, comm. S. Auréfil. – V. aussi E. Dinh, Fiscalité internationale : chronique de l’année 2020 : Dr. fisc. 2021, n° 10, chron. 167, spéc. n° 43 et s.
- CAA Paris, 5e ch., 6 juin 2019, n° 18PA02227.
- Ibid., pt 8.
- Ibid., pt 6.
- Cass. crim., 8 avr. 2021, n° 19–87.905, F–P+I : JurisData n° 2021–004783 ; Dr. fisc. 2021, n° 15–16, act. 233 ; Dr. fisc. 2021, n° 21, chron. 260, R. Salomon ; Dr. pén. 2021, n° 9, chron. 9, S. Detraz ; FR 30/2021, inf. 5, obs. E. Meier, M. Valeteau et M. Fredy ; Option finance 2021, n° 1631, p. 49, obs. A. Colonna d’Istria. – V. note O. Fouquet in Dr. fisc. 2021, n° 49, comm. 449.
- Adopté suite aux décisions du 24 juin 2016 du Conseil constitutionnel (Cons. const., 24 juin 2016, n° 2016-545 QPC, Alec W et a. : JurisData n° 2016-012236. – Cons. const., 24 juin 2016, n° 2016-546 QPC, Jérôme C : JurisData n° 2016-012237 ; Dr. fisc. 2016, n° 27, comm. 405, note S. Detraz ; Dr. fisc. 2016, n° 30-35, chron. 439, R. Salomon ; RJF 10/2016, n° 862, étude B. Hatoux, p. 1077. – V. N. Jacquot et P. Mispelon, QPC sur le cumul des sanctions pénales et fiscales : une décision sans gravité ? : Dr. fisc. 2016, n° 26, act. 409. – M. Pelletier, De quelques conséquences (inattendues) des décisions Alec W et Jérôme C : Dr. fisc. 2016, n° 30-35, act. 466) ayant énoncé, notamment, que le principe de nécessité des délits et des peines interdit qu’un contribuable qui a été déchargé de l’impôt par une décision juridictionnelle devenue définitive pour un motif de fond, puisse être condamné pour fraude fiscale).
- Cass. crim., 11 sept. 2019, n° 18–81.980, P+B+I + R : Dr. fisc. 2019, n° 40, act. 420, M. Stoclet ; Dr. pén. 2019, comm. 181, obs. Ph. Conte ; Dr. fisc. 2019, n° 46, chron. 437, R. Salomon ; Dr. pén. 2019, entretien 5 ; Dr. pén. 2019, chron. 8 ; Dr. pén. 2019, comm. 186, note J.–H. Robert ; Dr. pén. 2019, comm. 187, note J.–H. Robert ; Dr. pén. 2019, comm. 193, note V. Peltier ; D. 2020, p. 567, note O. Fouquet ; RTD com. 2020, p. 506, obs. L. Saenko ; RLDA 2020, n° 156, note H. Robert ; Gaz. Pal. 4 févr. 2020, n° 5, p. 64, obs. F. Fourment ; Gaz. Pal. 22 oct. 2019, n° 36, p. 14, note E. Dezeuze. – V. N. Jacquot et N. Guilland, Vers une balkanisation du contentieux fiscal ? : Dr. fisc. 2019, n° 43, étude 412.
- Cass. crim., 8 avr. 2021, n° 19–87.905, F–P+I, préc., pt 8.
- CE, 9e et 10e ch., 5 nov. 2021, n° 433367 : Dr. fisc. 2021, n° 49, comm. 449, concl. É. Bokdam-Tognetti, note O. Fouquet. – V également O. Fouquet, Imposition en France, dans le cadre du dispositif « anti-abus » de l’article 155 A du CGI, des sommes versées à une société étrangère en rémunération de prestations de services – À propos de CE, 9e et 10e ch., 5 nov. 2021, n° 433367 : Dr. fisc. 2022, n° 6, act. 53.
- Ibid., pt 4.
- Concl. É. Bokdam–Tognetti ss CE, 9e et 10e ch., 5 nov. 2021, n° 433367 : Dr. fisc. 2021, n° 49, comm. 449, note O. Fouquet.
- O. Fouquet, Les redevances de marques et brevets n’entrent pas dans le champ de l’article 155 A du CGI, note ss note CE, 9e et 10e ch., 5 nov. 2021, n° 433367 : Dr. fisc. 2021, n° 49, comm. 449, concl. É. Bokdam–Tognetti.
- CE, 8e et 9e ss–sect., 3 mars 1993, n° 83462, Jauffret : JurisData n° 1993–041336 ; Dr. fisc. 1993, n° 25, comm. 1289, concl. O. Fouquet ; RJF 4/1993, n° 512.
- CE, 3e et 8e ss–sect., 4 déc. 2013, n° 348136, Edmilson Gomes De Moraes : JurisData n° 2013–029523 ; Dr. fisc. 2014, n° 11, comm. 211, concl. V. Daumas, note Ch. de la Mardière ; RJF 3/2014, n° 210.
- Ibid., pt 6.
- V. O. Fouquet, Les redevances de marques et brevets n’entrent pas dans le champ de l’article 155 A du CGI, note ss note CE, 9e et 10e ch., 5 nov. 2021, n° 433367 : Dr. fisc. 2021, n° 49, comm. 449, concl. É. Bokdam–Tognetti.
- CE, 10e et 9e ch., 5 févr. 2021, n° 430594 et 432845, min. c/ Sté Performing Right Society Ltd : Dr. fisc. 2021, n° 17, comm. 226, concl. L. Domingo, note J.–L. Pierre. – V. M. Vail et B. Lhermet, Bénéficiaire effectif et sociétés de gestion collective : une décision pratique plutôt que de principe ? – À propos de CE, 9e et 10e ch., 5 févr. 2021, n° 430594 et 432845, min. c/ Performing Right Society : Dr. fisc. 2021, act. 185.
- V. E. Dinh in FI 3–2019, n° 5, spéc. n° 24.
- V. M. Vail et B. Lhermet, Bénéficiaire effectif et sociétés de gestion collective : une décision pratique plutôt que de principe ? : Dr. fisc. 2021, n° 13, act. 185.
- Comm. OCDE, 2005, C (12), n° 4.2.
- Pour une analyse détaillée, V. R. Danon et E. Dinh, Commentaire sur l’article 1, in R. Danon, D. Gutmann, X. Oberson, P. Pistone (ss dir.), Modèle de convention fiscale OCDE concernant le revenu et la fortune – Commentaire : Helbing Lichtenhahn, Bâle / EFL, 2013, p. 30 à 50, spéc. n° 86 et s.
- V. Comm. OCDE, 2017, C (12), n° 4.5, et C (10), n° 12.
- CE, 8e et 9e ss–sect., 13 oct. 1999, n° 191191, min. c/ Diebold Courtage : JurisData n° 1999–051277 ; Lebon, p. 307 ; Dr. fisc. 1999, n° 52, comm. 948, concl. G. Bachelier, note C. Acard ; RJF 12/1999, n° 1492, chron. E. Mignon, p. 931 ; BJS janv. 2000, n° 10, p. 54, note Ph. Derouin ; Rev. adm. 2000, p. 264, n° 315, obs. O. Fouquet.
- Sur ce point, V. not. E. Mignon, Fiscalité internationale des sociétés de personnes : la transparence n’est pas le vide : RJF 12/1999, p. 931, spéc. p. 936.
- Comm. OCDE, 2017, C (1), n° 33.
- B. Gouthière, Les impôts dans les affaires internationales : EFL, 2020, 14e éd., n° 76640–g.
- Comm. OCDE, 2017, C (29), n° 182.
- CE, 3e et 8e ss–sect. 29 déc. 2006, n° 283314, min. c/ Sté Bank of Scotland O. Fouquet ; RJF 3/2007, n° 322, chron. Y. Bénard, p. 319.
- CE, 8e et 3e ch., 10 déc. 2021, n° 449637, min. c/ SA BNP Paribas : Dr. fisc. 2021, n° 50, act. 608.
- Conv. franco-chinoise, art. 10 et art. 11 ou 12 des autres conventions applicables.
- CAA Versailles, 1re, 3e et 7e ch. réunies, 13 déc. 2017, n° 15VE01061, Sté BNP Paribas : JurisData n° 2017–028775 ; Dr. fisc. 2018, n° 14, comm. 247, concl. S. Rudeaux, note R. Coin ; RJF 4/2018, n° 430.
- CE, 3e et 8e ch., 10 juill. 2019, n° 418108, SA BNP Paribas 1 : JurisData n° 2019–012342 ; Dr. fisc. 2019, n° 42, comm. 408, concl. K. Ciavaldini, note A. Calloud et M. Valeteau. – V. aussi E. Dinh, Fiscalité internationale : chronique de l’année 2019 : Dr. fisc. 2020, n° 12, chron. 199, spéc. n° 33 et s.
- CAA Versailles, 7e ch., 16 déc. 2020, n° 19VE02589, Sté BNP Paribas : RJF 6/2021, n° 640, concl. J. Illouz C 640 ; FI 2–2021, n° 5, comm. E. Dinh.
- CE, plén. fisc., 7 déc. 2015, n° 357189, min. c/ SA Crédit Industriel et Commercial Alsace–Lorraine : Dr. fisc. 2016, n° 3, comm. 80, concl. B. Bohnert, note Ph. Durand ; Dr. sociétés 2016, comm. 49, note J.–L. Pierre ; Dr. fisc. 2016, n° 3, chron. 73, C. Acard, spéc. n° 16 ; RJF 2/2016, n° 123. – Adde, G. Blanluet, Plafonnement des crédits d’impôt d’origine étrangère : la règle du butoir à l’épreuve du droit conventionnel et du droit de l’Union européenne : Dr. fisc. 2018, n° 6, étude 166.
- CAA Versailles, 7e ch., 16 déc. 2020, n° 19VE02589, Sté BNP Paribas, pt 20.
- Conv. franco–chinoise, art. 22.
- CAA Versailles, 7e ch., 16 déc. 2020, n° 19VE02589, Sté BNP Paribas, pt 24.
- CE, 8e et 3e ch., 10 déc. 2021, n° 449637, min. c/ SA BNP Paribas, préc., pt 3 et 4.
- CE, 9e et 10e ch., 20 nov. 2017, n° 396595, min. C/ Sté Natixis : Dr. fisc. 2019, n° 5, comm. 137, concl. Y. Bénard, S. Austry et B. Foucher ; RJF 2/2018, n° 204.
- CE, 9e et 10e ch., 7 juin 2017, n° 386579, Sté LVMH Moët Hennessy Louis Vuitton : JurisData n° 2017–011353 ; Lebon, p. 538 ; Dr. fisc. 2017, n° 36, comm. 430, concl. É. Bokdam–Tognetti, note R. Zaghdoun et Q. Philippe ; RJF 2017, n° 941. – V. aussi E. Dinh, Fiscalité internationale : chronique de l’année 2017 : Dr. fisc. 2018, n° 9, chron. 198, spéc. n° 2 et s.
- CE, 9e et 10e ch., 20 nov. 2017, n° 396595, min. C/ Sté Natixis, pt 2 : Dr. fisc. 2019, n° 5, comm. 137, concl. Y. Bénard, S. Austry et B. Foucher.
- CE, 9e et 10e ss–sect., 12 mars 2014, n° 362528, Sté Céline : JurisData n° 2014–004866 ; Lebon, p. 155 ; Dr. fisc. 2014, n° 22, comm. 356, concl. F. Aladjidi, note Ph. Durand ; RJF 6/2014, n° 602. – V. E. Meier et M. Valeteau, « Retenue à la source étrangère : la situation du contribuable aggravée par une convention fiscale » : Dr. fisc. 2014, n° 19, act. 275. – E. Dinh, Fiscalité internationale : chronique de l’année 2014 : Dr. fisc. 2015, n° 9, chron. 172, spéc. n° 5.
- CE, 3e et 8e ss–sect., 12 juin 2013, n° 351702, Sté BNP Paribas : JurisData n° 2013–012791 ; Dr. fisc. 2013, n° 46, comm. 511, concl. E. Cortot–Boucher, note E. Dinh.
- CE, 8e et 3e ch., 10 déc. 2021, n° 449637, min. c/ SA BNP Paribas, préc., pt 18.
- CE, 9e et 10e ss–sect., 9 nov. 2015, n° 370974, Sté Sodirep textiles SA–NV : JurisData n° 2015–026400 ; Dr. fisc. 2016, n° 24, comm. 377, concl. M.–A. Nicolazo de Barmon, note C. Silberztein, B. Granel, A. Calloud et M. Valeteau ; RJF 2/2016, n° 121.
- Ibid., pt 5.
- V. sur cette question, E. Dinh, La construction du bilan de l’établissement stable : FI 4–2021, n° 02/1, spéc. n° 28 et s.
- CE, 8e et 3e ch., 15 nov. 2021, n° 454105, Sté Air Liquide pour l’étude et l’exploitation des procédés Georges Claude : Dr. fisc. 2022, n° 11, comm. 147, concl. K. Ciavaldini, note J.-L. Pierre ; Dr. fisc. 2022, n° 11, chron. 144, N. de Boynes, spéc. n° 1 ; Dr. fisc. 2022, n° 5, chron. 104, C. Acard, spéc. n° 8
- Ibid., pt 4.
- CE, 9e et 8e ss–sect., 23 avr. 1997, n° 145611, SA Fournier Industrie et Santé : JurisData n° 1997–044530 ; Dr. fisc. 1997, n° 44, comm. 1141, concl. G. Goulard ; RJF 6/1997, n° 543.
- L. n° 2004-1485, 30 déc. 2004, art. 39 : Dr. fisc. 2005, n° 5, comm. 148 ; Dr. sociétés 2005, étude 2, J.-L. Pierre – l’exonération s’appliquant pour les plus-values de cession de participations dégagées à partir des exercices clos en 2007.
- Sur ce point, V. H. Lehérissel, La réforme du régime d’imposition des plus–values sur titres de participation : BGFE 2/2005, p. 4. – V. aussi Rapp. Sénat n° 114 (2004–2005) fait au nom de la commission des finances du Sénat, 15 déc. 2004, par Ph. Marini.
- V. CE, 8e et 3e ch., 12 oct. 2018, n° 419221, Sté Vinci : JurisData n° 2018–017684 ; Dr. fisc. 2018, n° 42–43, act. 464 ; Dr. sociétés 2019, comm. 39, note J.–L. Pierre.
- BOI–IS–RICI–30–20, 1er août 2018, § 125 à 129.
- Ibid., § 129.
- CE, 8e et 3e ch., 14 juin 2017, n° 400855, Sté Orange Participations : Dr. fisc. 2017, n° 39, comm. 480, concl. B. Bohnert ; Dr. fisc. 2017, n° 39, chron. 478, C. Acard, spéc. n° 15.
- BOI–IS–BASE–20–20–10–20, 3 févr. 2016, § 125.
- Concl. B. Bonhert ss CE, 8e et 3e ch., 12 oct. 2018, n° 419221, Sté Vinci.
- CE, 9e et 8e ss–sect., 21 juin 1995, n° 132531, SA Sofige, n° 132530, Immobilière Ponthieu : JurisData n° 1995–044632 ; Dr. fisc. 1995, n° 41, comm. 1902 ; JCP E 1995, II, p. 234 ; RJF 8–9/1995, n° 963, concl. Ph. Martin, p. 559.
- V. sur ce débat, S. Austry et A. Merchadier, Notion de quote–part de frais et charges (QPFC) : quelques conséquences envisageables de la décision L’Air Liquide : Option fin. 2022, n° 1639, p. 36, spéc. p. 37.
- V. CE, 3e et 8e ss–sect., 12 juin 2013, n° 351702, Sté BNP Paribas, préc.
- L. n° 2017–1775, 28 déc. 2017, art. 14 : Dr. fisc. 2018, n° 1, comm. 49.
- V. BOI–IS–BASE–60–10–20–20, 27 juin 2014, § 120.
- Dr. fisc. 1998, n° 20–21, instr. 11998.
- Instr. 16 janv. 2007 : BOI 4 H–1–07 ; Dr. fisc. 2007, n° 6, instr. 13647.
- Concl. G. Goulard ss CE, 9e et 8e ss–sect., 23 avr. 1997, n° 145611, SA Fournier Industrie et Santé : Dr. fisc. 1997, n° 44, comm. 1141 ; RJF 6/1997, n° 543.
- L. n° 2010–1657, 29 déc. 2010, art. 10 : Dr fisc. 2011, n° 1, comm. 33, obs. L. de La Rocque.
- CE, 8e et 3e ch., 5 mars 2018, n° 416514, Sté Vicat : JurisData n° 2018–004932 ; Dr. fisc. 2018, n° 20, comm. 276, concl. R. Victor.
- CE, 8e et 3e ch., 5 mars 2018, n° 416514, Sté Vicat. – Et CE, 8e et 3e ch., 5 mars 2018, n° 416567, SA Vétoquinol, pt 5 : Dr. fisc. 2018, n° 20, comm. 276, concl. R. Victor ; RJF 6/2018, n° 661.
- CJUE, 2e ch., 2 sept. 2015, aff. C–386/14, Groupe Steria SCA : ECLI : EU : C : 2015 :524 ; Dr. fisc. 2015, n° 40, comm. 611, note M.–P. Hôo et C. Maignan ; RJF 11/2015, n° 972.
- Pour une application récente, V. CAA Lyon, 2e ch., 27 janv. 2022, n° 20LY00698.
- CE, 9e et 10e ch., 2 avr. 2021, n° 427880, min. c/ World Investment Corporation : Dr. fisc. 2021, n° 21, comm. 261, concl. C. Guibé, note F. Deboissy ; RJF 6/2021, n° 597.
- CE, plén. fisc., 24 nov. 2014, n° 363556, SA Artémis : JurisData n° 2014–029144 ; Lebon, p. 345 ; Dr. fisc. 2015, n° 3, comm. 57, concl. E. Cortot–Boucher, note Ph. Derouin ; RJF 2/2015, n° 102, chron. N. Labrune, p. 83. – E. Dinh, Fiscalité internationale : chronique de l’année 2015 : Dr. fisc. 2016, n° 9, chron. 196, spéc. n° 20 et s.
- CE, 9e et 10e ch., 2 avr. 2021, n° 427880, min. c/ World Investment Corporation, préc., pt 4.
- V. E. Dinh, Les partnerships dans l’ordre fiscal international. Présentation et portée de la méthode de l’« équivalence juridique » : JCP E 2016, 1440.
- 100.V. D. Gutmann, Le « test de ressemblance » : réflexions sur l’assimilation des entités étrangères aux entités françaises en droit fiscal français, in Le droit à l’épreuve des siècles et des frontières, Mél. en l’honneur du professeur Bertrand Ancel : LGDJ, 2018, p. 829 et s.
- 101.CAA Paris, 10e ch., 17 nov. 2015, n° 14PA03269.
- 102.CE, 9e ch., 16 mai 2018, n° 398055 : RJF 2018, n° 857, concl. Y. Bénard C 857.
- 103.CAA Paris, 2e ch., 19 déc. 2018, n° 18PA01750 : RJF 5/2019, n° 446.
- 104. Ibid., pt 5.
- 105. CE, 9e et 10e ch., 2 avr. 2021, n° 427880, min. c/ World Investment Corporation, préc., p. 4.
- 106. Ibid., p. 5.
- 107. Ibid., pt 7.
- 108. J.–P. Le Gall, Fiscalité internationale des sociétés de personnes. L’arrêt Diebold : un incident ou un cataclysme ? : Dr. fisc. 2000, n° 15, étude 100122.
- 109. V. concl. E. Cortot–Boucher ss CE, plén. fisc., 24 nov. 2014, n° 363556, SA Artémis : Dr. fisc. 2015, n° 3, comm. 57, note Ph. Derouin.
- 110. Ibid.
- 111. V. concl. C. Guibé ss CE, 9e et 10e ch., 2 avr. 2021, n° 427880, min. c/ World Investment Corporation, préc.
- 112. Sur la double question de savoir si le moyen tenant à l’existence de la loi étrangère doit être soulevé d’office et celle de savoir si le juge supporte la charge de la preuve du contenu de la loi étrangère, V. F. Deboissy, Assimilation d’une corporation établie au Delaware à une SAS de droit français assujettie à l’impôt sur les sociétés, note ss CE, 9e et 10e ch., 2 avr. 2021, n° 427880, min. c/ World Investment Corporation : Dr. fisc. 2021, n° 21, comm. 261, spéc. n° 13 et 14.
- 113. Ibid., spéc. n° 15 et s.
- 114. Concl. E. Cortot–Boucher ss CE, plén. fisc., 24 nov. 2014, n° 363556, SA Artémis, préc.
- 115. CE, 3e et 8e ss–sect., 2 févr. 2015, n° 370385, min. c/ Pastor : JurisData n° 2015–001937 ; Lebon T., p. 612 et 648 ; Dr. fisc. 2015, n° 17, comm. 287, concl. V. Daumas, note M. Buchet : RJF 4/2015, n° 334.
- 116. CE, 8e et 3e ch., 8 nov. 2019, n° 430543, min. c/ SAS Masterfoods Holding : Dr. fisc. 2019, n° 51–52, comm. 491, concl. R. Victor, note R. Jouffroy ; Dr. fisc. 2020, n° 6–7, chron. 130, C. Acard, spéc. n° 11 : RJF 2/2020, n° 148.
- 117. CE, 8e et 9e ss–sect., 13 oct. 1999, n° 191191, min. c/ Diebold Courtage : JurisData n° 1999–051277 ; Dr. fisc. 1999, n° 52, comm. 948, concl. G. Bachelier, note C. Acard ; RJF 12/1999, n° 1492 ; BJS janv. 2000, n° 10, p. 54, note Ph. Derouin ; RJF 12/1999, n° 1492, chron. E. Mignon, p. 931 ; Rev. adm. 2000, p. 264, n° 315, obs. O. Fouquet. – V. J.–P. Le Gall, Fiscalitéinternationale des sociétés de personnes. L’arrêt Diebold : un incident ou un cataclysme ? : Dr. fisc. 2000, n° 15, étude 100122.
- 118. CE, 10e et 9e ch., 27 nov. 2019, n° 405496, Sté Vorwerk Elektrowerke GmbH & Co. KG : JurisData n° 2019–021384 ; Dr. fisc. 2020, n° 9, comm. 165, concl. A. Iljic.
- 119.CE, 9e et 10e ch., 27 févr. 2019, n° 398662, 398663, 398666, 398672, 398674 et 398675, Sté Sofina et a. : Dr. fisc. 2019, n° 26, comm. 311, concl. E. Bokdam–Tognetti, note A. Maitrot de la Motte.
- 120. Sur ces questions, V. D. Gutmann, Le « test de ressemblance » : réflexions sur droit à l’épreuve des siècles et des frontières, Mél. en l’honneur du professeur international. Présentation et portée de la méthode de l’« équivalence juridique » : JCP E 2016, 1440, spéc. n° 12.
Spécialiste du droit fiscal français et international des entreprises, Emmanuel Dinh, Associé du Cabinet Couderc Dinh & Associés, mène une double carrière d’avocat et d’universitaire. Auteur de nombreux articles de fiscalité internationale et européenne qui font autorité, il intervient en matière de planification fiscale, de restructurations et de fiscalité internationale des entreprises. [Voir son profil]