“ J’encadrerais le droit pénal fiscal ” ,
Emmanuel Dinh, associé, cabinet Couderc Dinh & Associés
La lutte contre la fraude et l’évasion fiscales est un objectif légitime, dans un contexte d’attrition des recettes publiques, et en regard des effets perturbateurs des comportements d’évitement fiscal sur la démocratie elle même. C’est dans cette logique que, ces dernières années, le droit fiscal s’est montré plus répressif. Cette tendance doit toutefois être encadrée par une meilleure délimitation des frontières entre les comportements fiscaux frauduleux et les comportements fiscaux optimisants visés par l’abus de droit.
La fraude fiscale est définie de façon large, à l’article 17 41 du code général des impôts, comme la soustraction ou tentative de soustraction frauduleuse à l’établissement ou au paiement de ses impôts, et est passible d’une peine de prison de cinq ans et une amende de 500 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l’infraction, l’amende étant multipliée par cinq pour les personnes morales. L’abus de droit, quant à lui, est défini à l’article L. 64 du livre des procédures fiscales et permet l’inopposabilité à l’administration fiscale des actes fictifs (hypothèse de simulation), ainsi que des actes poursuivant un but fiscal exclusif et recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs (hypothèse de fraude à la loi) en même temps que l’imposition de sanctions administratives (majoration de droits de 80 %).
La loi sur la fraude fiscale du 23 octobre 2018 a, pour sa part, aménagé le« verrou de Bercy» qui subordonnait la poursuite de la fraude fiscale au dépôt d’une plainte de l’administration, après avis favorable de la Commission des infractions fiscales. Désormais, l’administration est tenue de dénoncer au procureur les faits qui ont conduit à un redressement d’un montant supérieur à 100000 € et à l’application d’une majoration de 100 %, 80 % et de 40 % (en cas de récidive dans les six ans). Sur le plan quantitatif, la transmission automatique augmente le nombre de dossiers fiscaux soumis au parquet (trois fois plus que par le passé). Sur le plan qualitatif, la typologie des dossiers auxquels les procureurs auront accès est différente. Auparavant, l’administration ne déposait plainte qu’au titre des dossiers marqués au sceau de la fraude la plus évidente, tandis que les dossiers les plus techniques et complexes, concernant les grands groupes et les grandes fortunes, étaient réglés par voie de transaction ou de règlement d’ensemble. Aujourd’hui, le parquet aura à connaître de ces dossiers (prix de transfert, établissement stable, management packages).
Dans ces conditions, un encadrement de la pénalisation du droit fiscal est souhaitable. Sur le fond du droit, il convient de mieux définir les contours des notions d’abus de droit et de fraude fiscale. L’abus de droit par simulation peut en principe faire l’objet de poursuites pour fraude fiscale, la fictivité étant le vecteur de la dissimulation. En revanche, les choses ne sont pas aussi évidentes s’agissant de l’abus de droit par fraude à la loi, qui met en jeu des actes parfaitement valides sur le plan juridique. Dans cette hypothèse, la soustraction« frauduleuse» à l’impôt ne peut provenir que de la méconnaissance de l’objectif de l’auteur du texte, comme l’exige l’article L. 64 du LPF. Or, en pratique, il est souvent difficile d’identifier un tel objectif. Dès lors qu’il existe une incertitude sur ce point, l’abus de droit devra être écarté, de même que la qualification de fraude fiscale (le contribuable n’ayant pas conscience de commettre un acte illicite). Ce n’est pas la tendance de la jurisprudence la plus récente. Je propose donc de compléter la formule de l’article L. 64 du LPF en prévoyant expressément, s’agissant de la fraude à la loi, que le non-respect des objectifs de l’auteur du texte doit être prouvé sur la base d’éléments objectifs (exposé des motifs, travaux préparatoires, etc.) et que cette démonstration est une condition substantielle du déclenchement du mécanisme.
Sur le plan procédural, je propose une meilleure articulation des procédures pénale et fiscale, dont l’indépendance de principe a déjà été infléchie par les décisions du Conseil constitutionnel du 24 juin 2016, en fixant une obligation, pour le juge pénal, de surseoir à statuer tant qu’une instance fiscale est pendante, afin d’éviter la situation où un contribuable pourrait être condamné par un juge pénal pour fraude fiscale, avant d’obtenir une décharge devant le juge fiscal, ne lui laissant que la procédure de révision comme solution. Il en va du respect de la sécurité juridique et des droits fondamentaux des contribuables